John Scofield : Une question de feeling
Musique

John Scofield : Une question de feeling

Le guitariste John Scofield s’accorde une pause lyrique et fait dans la ballade avec A Moment’s Peace. La science du virtuose se met au service de la romance.

Nous sommes habitués de retrouver le guitariste John Scofield au sein de projets musicaux avant-gardistes et parfois totalement éclatés. Par exemple, cette rencontre avec le trio Medeski, Martin & Wood qui a été immortalisée sur l’album A Go Go, ou cette aventure drum’n’bass avec le disque Überjam au début des années 2000. Sans compter sa collaboration avec Miles Davis, entre autres sur l’album Decoy, dans les années 80, et ses incursions dans la musique contemporaine et actuelle avec le compositeur anglais Michael Turnage et le guitariste Bill Frisell.

Scofield aime bien se métamorphoser; son dernier album A Moment’s Peace est une autre surprise. Entouré des musiciens Larry Goldings (clavier), Scott Colley (basse) et Brian Blade (batterie) – respectivement remplacés en tournée par Michael Eckroth, Ben Street et Gregory Hutchinson -, le virtuose a cette fois décidé de produire un disque entièrement consacré à la ballade. Les standards fréquentent ses propres compositions et la science de l’artiste fait son oeuvre. Avec cette dernière réalisation, il met la pédale douce sur les prouesses techniques et se concentre sur le lyrisme.

"J’aime bien les concepts et trouver une certaine unité sur un disque, indique-t-il. Avec A Moment’s Peace, je voulais voir jusqu’où la forme ballade pouvait m’emmener. Ça fait longtemps que j’y pensais sérieusement, mais le projet Piety Street [enregistré à La Nouvelle-Orléans et inspiré du gospel] a duré deux ans et prenait tout mon temps jusqu’à l’année dernière. À cette époque, j’avais déjà plusieurs compositions dans mon cartable pour A Moment’s Peace, mais ce n’est que lorsque j’ai choisi les reprises qu’elles sont devenues de véritables ballades. Et il ne faut pas oublier l’apport des musiciens qui m’accompagnent. Ils sont très bons!"

Effectivement, difficile de trouver mieux que Brian Blade à la batterie, qui a lui-même recommandé le bassiste Scott Colley à Scofield. Avec une telle section rythmique, Goldings et le guitariste n’ont qu’à s’amuser avec le feeling qui s’impose. "Comment faire autrement? Blade, par exemple, est au sommet de son art! Ils ont eu carte blanche, mais je savais ce que je voulais, c’est-à-dire le tempo et l’esprit général qui devait régner. J’ai eu droit à quelques surprises, certains ont pris des directions inattendues. Et c’est normal, car ce qui distingue ces musiciens, c’est leur instinct. À titre de leader, tu dois respecter ça."

Avec les relectures de Gee Baby Ain’t I Good to You et You Don’t Know What Love Is, le quatuor flirte même avec le blues. Un genre que Scofield a cultivé dans sa prime jeunesse: il nous avoue avoir eu une fixation sur B.B. King à l’âge de 16 ans. Les Beatles aussi semblent avoir marqué l’artiste, qui a porté son dévolu sur la chanson I Will, extraite de l’album blanc. "C’est à cause de ma femme, c’est elle qui me l’a suggérée! Bien sûr, j’ai grandi avec les Beatles. Ces chansons ont très bien vieilli et elles représentent un répertoire comparable à celui de Gershwin. On joue Gershwin encore aujourd’hui; il en sera de même avec les Beatles dans les décennies à venir. Tout simplement parce que ces chansons sont très bien écrites, voilà tout. Ce sont de belles mélodies, et le jazz s’accorde bien avec ça."