Lucie Grégoire et Yoshito Ohno : La résonance du vide
Musique

Lucie Grégoire et Yoshito Ohno : La résonance du vide

Inspiré d’une notion très orientale, In Between clôt la trilogie unissant Lucie Grégoire et Yoshito Ohno, fils du célèbre maître de danse butô aujourd’hui décédé.

Figurant parmi les pionniers de la danse contemporaine au Québec, la chorégraphe-interprète Lucie Grégoire peut aussi bien réunir une vingtaine de danseurs pour un parcours sur le mont Royal que danser des solos tout en intériorité et en économie du geste. Comme plusieurs, elle est allée un jour puiser aux sources du butô, cette danse japonaise qui se détourne de l’exploit technique et de l’interprétation pour faire du corps une enveloppe vide prête à incarner des images mentales. Un concept qui marque encore sa façon de créer.

"Par exemple, une de mes danses est inspirée d’une femme qui, juste avant de mourir, a dit qu’elle marchait sur une route tapissée de fleurs, explique la quinquagénaire. Dans une autre, je travaille les qualités minérales et végétales d’un être un peu rampant…"

Formée dans les années 1980 auprès de Min Tanaka et de Tatsumi Hijikata et Kazuo Ohno, les deux fondateurs du butô, Grégoire rencontre Yoshito Ohno en 2003 à l’occasion d’un séjour de ressourcement à Yokohama. Pour elle, il écrit Eye. Suivra Flower, où s’ajoutent à sa signature (fortement marquée par l’oeuvre de son père) celles de Grégoire et Hijikata.

"Dans les deux cas, le concept était de Yoshito, précise la créatrice. Et si nous signons tous les deux la chorégraphie d’In Between, c’est moi qui ai proposé l’idée d’explorer ce qui se trouve "entre" les choses et les êtres. Je me suis inspirée du Livre du vide médian du Franco-Chinois François Cheng, plus particulièrement du poème Entre. Dans la préface, il explique qu’entre le yin et le yang, qui expriment la dualité, il y a un troisième élément, le vide médian, qui fait que les deux autres peuvent exister. Cette notion a toujours été présente dans mon travail et elle l’est dans ma rencontre avec Yoshito: il vit au Japon, moi, au Québec, on se voit peu, mais notre collaboration existe depuis huit ans en dehors du temps et de l’espace."

Cette fois, le tsunami a bouleversé leur processus de création. Chacun a créé des solos de son côté et le danseur de 73 ans est venu travailler à Montréal plutôt que l’inverse. Aux quinze jours passés ensemble l’été dernier, s’en ajoutent sept avant le spectacle. "Souvent, avec Yoshito, tout se met en place juste avant la première, confie Grégoire. C’est très intense, ça soude l’équipe de travail et ça laisse de la place à la spontanéité même si beaucoup de choses sont établies."

Pour l’éclairagiste Marc Parent, le défi est de faire ressortir ce vide médian que les Japonais appellent le ma, ce plein de rien, cet espace qui relie les danseurs entre eux et avec le public, ce silence entre deux notes, cette pause entre deux danses, cette zone de résonance dans laquelle se crée le sens. Angelo Barsetti vient compléter la garde-robe fournie par Etsuko Ohno, épouse de Yoshito et costumière de Kazuo. Et dans la mosaïque sonore où se croisent chanson populaire, musiques japonaise et noire américaine, on retrouve deux morceaux du collaborateur de longue date qu’est Robert Normandeau.

"Sa musique tisse des univers qui me donnent beaucoup d’espace, me permettent d’explorer toutes sortes d’éléments à l’intérieur du corps. Et c’est un peu grâce à elle que le lien entre Yoshito et moi s’est créé."