Fred Pellerin : Élargir le voisinage
"J’ai le cul béni." Fred Pellerin aime tout ce qui lui arrive et s’arrête pour savourer le moment quand il "arrache" les carottes de la terre qu’il cultive chez lui, à Saint-Élie-de-Caxton. Entre une séance de jardinage et un voyage de l’autre côté de l’océan, il présente C’est un monde, un nouvel album aussi chargé qu’un voyage dont l’ennui se calcule aux bobettes…
"Quand j’arrive à mi-chemin dans mon nombre de bobettes prévu pour le voyage, quand c’est la journée du lavage, là, je commence à m’ennuyer sérieusement de mes trois p’tits ploucs." Ses enfants, dont Marius, le dernier de 14 mois, son "jeune prince" à qui il a dédié ce deuxième album solo lancé mardi dernier, le jour de son 35e anniversaire de naissance, il les transporte en pensée avec lui jusque sur scène. "La toune Rentrer chez nous, c’est là que c’est le meilleur moment pour la faire. Je la sens tellement bien."
Écrite et composée par David Portelance, un fidèle complice de Pellerin, cette chanson exprime le poids de l’absence, celui des souvenirs, la nostalgie poétique des jours passés. "Quand ça fait plus de dix jours. Quand le plus jeune laisse voir qu’il se tiendra debout tout seul d’une journée à l’autre. Quand la postière avise que le casier déborde. Quand l’avion tarde à prendre de l’aile. Rentrer chez nous… Ça se chante tout seul et ça dit juste", précise le conteur dans le livret de l’album (lire critique en page Disques).
D’élan et d’audace
Rentrer chez nous fait partie des 13 chansons inédites de cet album réalisé par Jeannot Bournival et dont Pellerin a signé lui-même les paroles de quatre d’entre elles, en plus d’en avoir mis deux en musique. Avec des titres comme Y en a qui partent, Petite misère ou La complainte du Saint-Maurice, on serait porté à croire que ce nouvel album a conservé la mélancolie de Silence, sorti il y a deux ans. "Celui-là est parfois sombre, mais il a un peu plus d’élan. Et puis, j’ose aller dans certaines zones où je n’étais pas allé, je risque des affaires."
Si les zones de lumière sont omniprésentes à travers la poésie et les réflexions de cet opus rempli de profondeur, la musicalité s’est affirmée, magistrale et enivrante. "La musique respire dans cet album-là. On aime, Jeannot et moi, que ça sonne l’instrument qui joue. Je travaille gros sur la mélodie. Cet album-là sonne mieux, il y a plus d’unité, je dirais."
Les paroles touchantes et lucides, amalgamées aux sons des mandoline, guitare, clarinette basse ou harmonica, témoignent aussi du vécu d’un trentenaire qui a gardé l’oeil très gamin derrière ses lunettes rondes. "Je ne me sens pas pris dans une génération, je bâtis plutôt quelque chose qui est issu d’une tradition, du passé. Ce qui ne m’empêche pas de partager avec les gens de mon âge des douleurs, des écoeurantites, une volonté de marcher en avant."
Voyager léger
Quant aux voyages qui font désormais partie de sa vie, il les accueille le coeur aussi léger que ses valises qui contiennent peu de vêtements – Pellerin est aux antipodes du métrosexuel -, mais surtout des romans, des calepins pour dessiner; une autre passion chez l’artiste qui a lui-même illustré la couverture de son album. "Spontanément, je n’aurais pas de valises, je suis plus sédentaire. Maintenant, j’en ai une que je ne défais jamais. Je suis comme devenu infecté du voyage… même si j’aime aussi sarcler mes radis. Le voyage, c’est aussi une manière de boire à d’autres réalités", confie celui qui part environ sept fois par année en Europe, sans compter ses nombreux déplacements à travers le Québec.
Ces réalités, il les retrouve auprès de son public en Suisse, en Belgique et en France, où C’est un monde est en partie né il y a un an. Il revient d’ailleurs d’une série de 8 représentations en 12 jours dans le sud de la France. "Ça se mange bien la France! Ça se boit bien la France!" déclare-t-il spontanément, un sourire dans la voix presque éteinte par une pharyngite… française.
"En Europe, je ne suis plus juste exotique comme je l’ai été au départ. Les gens se rendent compte que je transporte un village et un langage qui les surprend beaucoup. Ils réalisent maintenant que ce n’est pas le québécois que je parle, que mon plaisir est plutôt de démolir la langue pour la reconstruire."
Sous le charme du conteur, plusieurs de ses fans traversent l’océan pour venir visiter Saint-Élie-de-Caxton, espérant le croiser au détour d’une route de gravier… Il a lui-même conçu un tour guidé du village. "J’essaie de faire en sorte que les gens viennent pour les histoires plus que pour moi. J’aimerais que les gens viennent voir le village, pas juste ma maison. Il m’habite, ce village. Mes trophées sont à l’épicerie…"
Pellerin l’hyperactif
Ici, les médias ne s’étonnent plus devant la spontanéité, le naturel et la franchise désarmante d’un Fred Pellerin, qui après quatre spectacles de contes, dont sont issus 2 DVD, un scénario de film (Babine), quatre livres-disques, un livre de contes de village, un livre photos, un spectacle musical et des projets à profusion, ne ressent plus le stress du début de carrière. "Ça fait 12 ans que je fais ce métier-là. La chance que j’ai eue, c’est que tout a monté tranquillement pour moi, ce n’est pas arrivé d’un coup. Ça fait qu’aujourd’hui, j’ai moins la chienne. Les médias… C’est dur à maîtriser, cette affaire-là, faut juste arriver finalement à sentir l’affaire, mais j’adore ça."
En plus de travailler à son prochain film, Ésimésac, et d’écrire De peigne et de misère, un spectacle de contes à venir, le lauréat de trois Félix sera à la Maison symphonique, les 16 et 17 décembre, dans Noël conté par Fred Pellerin. Interprétés par l’OSM, des extraits du populaire Casse-noisette de Tchaïkovski, ainsi que des pages de Humperdinck, Ravel, Schubert, Adams et Julien Bilodeau, accompagneront un conte de son cru. "Ce conte symphonique me donne le vertige, je ne connaissais pas la musique classique. On a des meetings de 3-4 heures, Kent Nagano et moi. Je lui ai présenté Tex Lecor, il m’a présenté Bach… J’aime apprendre."
Et Fred Pellerin n’aime pas trop le repos. Pour être zen, il fabrique des ceintures fléchées. "C’est quand même 75 heures à consacrer à ça, juste pour en faire une. Je sais… C’est pas ma faute, il faut que mon cerveau brûle du gaz sur quelque chose, sinon je vais "buster"…"
Fred Pellerin
C’est un monde
(Tempête)
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