Susan Graham : Une voix pour ces dames
La mezzo-soprano Susan Graham aime les défis et nous offre un récital fait sur mesure qui se distingue par sa direction artistique. Cette brillante cantatrice a un tempérament de feu.
Comment fait-on pour réunir dans un même programme des mélodies et des lieder de Purcell, Schubert, Schumann, Hugo Wolf, Tchaïkovski et Poulenc? Tous ces compositeurs, qui ont marqué leur époque respective par leur génie, mériteraient un récital entier. Imaginez maintenant l’interprète qui doit chanter leurs oeuvres en faisant abstraction de la barrière de la langue. De l’anglais à l’allemand et du russe au français, la mezzo-soprano américaine Susan Graham relève un défi de taille. Pour elle, il semble que cette direction artistique soit caractéristique de ce que doit être un récital: un voyage musical où le texte devient le fil conducteur d’une trame narrative précise. La musique, elle, s’y déploie et s’expose selon ses caractéristiques stylistiques.
"C’est un beau programme, n’est-ce pas? souligne-t-elle avec enthousiasme. Toutes ces mélodies illustrent le destin et le caractère émotionnel de différentes femmes, des figures légendaires, des personnages fascinants. On y trouve Ophélie et Lady Macbeth… C’est un récit parfois tragique, parfois lumineux. Ce récital est un beau défi, car d’une pièce à l’autre, je dois incarner une émotion et une figure féminine distinctes. Sans compter que, de Purcell à Joseph Horovitz, on traverse le temps et on se retrouve dans un tout autre univers musical."
Ce Horovitz, dont elle interprétera la mélodie Lady Macbeth, est sans doute le moins connu des compositeurs au programme, aux côtés des Berlioz, Liszt et Duparc. C’est au pianiste Malcolm Martineau, fidèle complice de Susan Graham, que l’on doit ce choix original. "Malcolm a reçu l’enseignement d’Horovitz à l’Académie royale de musique de Londres, précise-t-elle. Il est encore en contact avec lui. Lorsque Malcolm et moi avons décidé d’élaborer cette thématique, Lady Macbeth lui est venue à l’esprit. C’est une découverte pour moi, et j’aime les nouveautés."
La mezzo-soprano travaille depuis déjà plus de 15 ans avec le pianiste d’origine écossaise, un spécialiste du récital très prisé parmi les interprètes qui cherchent le complice idéal. On pourrait dire sans gêne qu’il est le Gerald Moore du 21e siècle. "Une carrière, c’est l’opéra, les concerts avec orchestre et… les récitals. Faire des récitals, c’est ce qu’il y a de plus angoissant. Mais c’est aussi la forme d’art la plus raffinée et la plus stimulante. On est exposé, j’ajouterais même mis à nu comme interprète. Bien sûr, il y a le travail: l’apprentissage des textes et de la poésie peut parfois être ardu. C’est alors primordial d’avoir à ses côtés un pianiste en qui on peut avoir confiance. Un interprète compose aussi avec le doute et la peur, et Malcolm est un excellent psychologue! C’est en quelque sorte mon ange gardien et un ami. Sur la route, c’est important d’être en bonne compagnie. Faire de la musique avec lui, c’est le crémage sur le gâteau!"
La cantatrice, au début de la cinquantaine, est aujourd’hui au sommet de son art. Non seulement sa voix se distingue entre toutes, mais ses talents d’actrice en font une interprète d’exception. "Pour moi, le jeu, c’est la joie de ce métier. Pouvoir incarner un personnage, exprimer ses émotions et son état d’esprit, c’est ça, la musique. Il ne suffit pas d’émettre la note parfaite. Ça, ce n’est que de la technique. Je suis chanceuse, je peux faire les deux!" conclut-elle en riant.