Tiken Jah Fakoly : Les phonèmes des soulèvements
Musique

Tiken Jah Fakoly : Les phonèmes des soulèvements

Le reggaeman Tiken Jah Fakoly, le poing en l’air et le verbe charpenté comme autant de rébellions, poursuit sa route vers l’atteinte de son but premier: la révolte de l’Afrique  noire.

"En Afrique, quand j’ai envie de m’exprimer, je le fais", explique au bout du fil Tiken Jah Fakoly, de sa maison de Bamako. C’est que, dans quelques jours, le 21 février, le chanteur fera paraître deux chansons "spécialement pour l’Afrique" sur iTunes Afrique de l’Ouest. "Le single que je m’apprête à sortir s’appelle Alerte. Alerte parce que la Côte d’Ivoire sort d’une crise qui a fait 3000 morts. J’essaie d’alerter les gens, de les prier d’éviter de tomber dans le même piège que les Ivoiriens. Le second titre s’adresse à tous les dirigeants africains qui ont accepté mettre en branle des élections et qui sont partis parce qu’ils ont été défaits. Je pense aux premier et second présidents du Sénégal, entre autres. Il est important de saluer ces gens qui ont donné un coup de fouet à la démocratie. Cette chanson s’appelle La porte de l’histoire."

Depuis Les Djelys, premier album-cassette paru en 1993, jusqu’au triomphal Coup de gueule de 2004, Tiken Jah Fakoly s’est forgé une imposante carrière musicale à même les dilemmes politiques et les bourdonnements sociaux que l’Afrique a subis. Son plus récent disque, African Revolution, paru des mois avant le Printemps arabe et les vicissitudes qui en ont résulté, revêt aujourd’hui une aura prophétique.

"Je dirais que c’est une coïncidence heureuse, relativise le musicien. Moi, je parlais de révolution africaine en septembre 2010, date à laquelle mon album est sorti. Quelques mois plus tard, la révolution a commencé en Tunisie, puis en Égypte et en Libye. Je ne m’attendais pas à ça. Ces révolutions, je prévoyais qu’elles écloraient dans 10 ou 15 ans. Ça m’a surpris, mais j’en ai rapidement déterminé la cause première: le niveau d’éducation plus élevé dans les pays du Maghreb que dans le reste de l’Afrique."

C’est d’ailleurs ce flambeau – l’éducation pour le peuple africain – que Fakoly porte dans la francophonie européenne avec sa fondation Un concert, une école. "Je voulais poser des actes concrets. Un concert, une école, ça nous permet d’amasser de l’argent pour bâtir des écoles. À ce jour, nous avons bâti un collège au Mali, une école primaire en Côte d’Ivoire, une autre au Burkina Faso."

Courte pause, puis le descendant de forgeron poursuit, enflammé: "L’éducation, c’est la lumière. C’est la clé du développement. Tant et aussi longtemps qu’on ne réclamera pas nos droits, personne ne le fera pour nous! Nous avons toutes les matières premières pour permettre aux pays développés de poursuivre leur développement. Il y a des entreprises canadiennes, américaines, allemandes, françaises qui exploitent nos terres. Et le pourcentage des profits qui reste en Afrique est effarant. Quand la population sera au fait de cela et qu’on sera assez éduqués, on pourra se faire respecter. Ce sera le temps du réveil du continent africain. Sans éducation, il n’y aura pas de révolution."

En attendant les balbutiements de ces mouvances sociétales et la parution d’un album qui fera suite à African Revolution, le chanteur trimbalera ses petites émeutes placides au Canada, chansons dont le discours exhorte la masse à se munir des outils nécessaires pour parvenir à bouleverser l’ordre des choses: "Go to school brother and learn what they are doing / It will open up your eyes to the people’s situation".

Fakoly conclut, un grand sourire dans la voix: "J’ai récemment apporté mon soutien au mouvement Occupy en France. J’ai réalisé que les gens sont prêts à descendre dans les rues. Ils sont informés, ils exigent plus, ils ont compris que les dirigeants n’ont plus leurs intérêts à coeur. Ça me donne matière à penser que les prochaines années risquent d’être marquantes pour le monde."