Richard Desjardins : La voix qui porte
L’heure du show a sonné pour Richard Desjardins, qui revisite L’existoire en bonne compagnie. Une entreprise à hauteur d’homme qui interpelle.
Il est en vie, ce Richard Desjardins. Vivant comme un gars qui ne veut pas se perdre dans le verbalisme et qui se contente de dire la vérité toute crue. Parfois, cette vérité est simple, logique. Souvent, elle prend racine dans les convictions qui animent l’artiste. Celles qui le poussent à parler du territoire et du bien commun. "On privatise nos ressources, celles du peuple, alors que la Constitution est très claire sur le principe du bien commun. On a un problème avec ça au Québec… C’est pas réglé, cette affaire-là", constate-t-il en revenant sur le travail accompli lors de la sortie de son récent documentaire sur les mines, Trou Story, réalisé en compagnie de son complice Robert Monderie.
L’artiste n’a pas eu le temps de s’asseoir sur ses lauriers après la sortie du film pamphlétaire. À peine ce dernier était-il lancé que la musique se pointait au portail. Une tournée s’imposait pour que L’existoire, son dernier album, prenne vie sur scène. C’est maintenant le musicien que nous avons devant nous. Entre deux questions, il prend un malin plaisir à nommer les figures pittoresques qui ont marqué son enfance à Rouyn-Noranda, dont le chanteur country Jimmy James. "Jimmy James and The Candy Kanes! Tout un chanteur!"
L’auteur-compositeur-interprète a lui aussi ses principes. Lorsqu’on lui résume sa carrière (et son indépendance acquise), de nouvelles anecdotes viennent illustrer le chemin parcouru. On constate alors que ceux qui ont tenté de le berner subissent encore son jugement implacable. "J’en ai rencontré un dans ma carrière: un gros crisse, un porc, se rappelle-t-il. Marie qu’il s’appelait, Georges Marie. Un producteur français. C’était dans le temps où on pensait que j’allais conquérir la France [avec l’album Tu m’aimes-tu, en 1990]. Il m’avait invité à un repas. Il était en contact avec la production du film Germinal, qui allait sortir plus tard avec le chanteur Renaud. Je lui avais dit que j’aimerais ça faire la musique du film, que ce serait mon rêve. Germinal d’Émile Zola, c’est le monde des mines! Il m’avait répondu qu’il allait essayer, qu’il allait proposer l’idée, à condition que je lui cède tout de suite 50% de mes droits. Imagine, toutes mes chansons! Donc, que ça marche ou non, je devais tout lui donner. Tabar…"
"Y a des moments dans ta carrière où tu te sens comme un poisson dans un aquarium rempli de requins", lance-t-il avec un brin d’indignation dans la voix. Comme quoi il faut s’armer de patience pour faire la carrière qu’on veut, sinon pour se protéger des vautours. "C’est rare, en musique, d’avoir ses droits. Moi, j’ai fini par comprendre le principe. Si le gars en face de moi a pas écrit la moitié de la toune, je ne vois pas pourquoi il aurait la moitié de mes droits. Habituellement, ceux qui s’essayent comprennent assez vite et la négociation s’arrête là!"
Faire son show
Le chantre est bien en selle depuis des lustres. Tout est mis en place autour de lui pour qu’il ne soit pas déconcentré dans son travail, comme il dit. Lorsque vient le temps de faire du spectacle, il travaille "le frame" avec soin et il se présente entier. Le gars a des choses à dire (Harper et le massacre de l’entente Kelowna, le Plan Nord, le bien commun) et des histoires à raconter. "On va faire le disque au complet, ça pis ben d’autres affaires. En spectacle, c’est particulier, c’est plus expansif. On en donne plus." Même ces pièces instrumentales au piano (Elvira, Ils, Los Ayala et La nuit avec Hortense) qui sèment la sagesse dans ce florilège poétique. "C’est pour le plaisir de jouer de la musique. C’est plus classique, très 19e siècle, comme Chopin ou Fauré… Mon accordéoniste m’a dit: "Richard, tu es un hybride de Chopin et de Willie Lamothe!" J’en suis très fier!" affirme-t-il en riant.
Avec Claude Fradette, Desjardins échange le chapeau de chef d’orchestre, et la gang de musiciens, pour la plupart issus du milieu du jazz et de la musique actuelle, développe son propre langage. "Moi, il me faut des bons improvisateurs. Quand je monte un show, c’est tout le monde ensemble. Après deux semaines, on a de quoi. Si un de ces musiciens ne peut pas jouer un soir, ben il n’y a pas de show. Ils ne sont pas interchangeables."
L’existoire prend vie et le discours de Desjardins s’anime. C’est le temps de laisser place à la poésie, à l’éditorial et même à Roger Guntacker, ou à ce "gérant de Provigo" qui s’épanche avec éclat dans la pièce Développement durable: "Pas d’farce moi j’ai deux bacs / un bac vert, un bac bleu / un pour les faces à claques / dans l’aut’ j’mets des quêteux." "C’est mon colon de service, s’amuse-t-il. Lorsqu’on se bat pour la protection du territoire au Québec, on fait souvent affaire avec du monde comme ça. On les entend!" Une chance, Richard aussi.