Salomé Leclerc : Signe vital
Musique

Salomé Leclerc : Signe vital

Salomé Leclerc possède un chapelet de qualités rares. Au-delà de ses talents de musicienne et de parolière: une intelligence inestimable. La capacité de dire la vérité des choses, leurs nuances, et de les livrer en chanson avec la même mesure tout en nous vrillant les tripes.

Elle a 25 ans, mais un coeur et une âme qui font au moins le double. Son premier album, Sous les arbres, convoque les grands espaces dans ce qu’ils ont d’à la fois triste, beau et inquiétant. C’est un recueil de chansons au tempo lancinant qui traînent des odeurs de terre retournée, portées par l’air glacial qui vous brûle le visage au fond d’un rang un après-midi de novembre. Un disque raffiné sans être précieux, et où rien ne détonne.

Des choeurs réverbérés dans le lointain. Une voix de tête râpeuse qui hulule dans la nuit. Le territoire rural s’entend partout chez Salomé Leclerc. Dans les silences comblés par quelque chose qui ressemble au souffle du vent, et dans des textes qui disent les départs, les routes, des bouleaux et des prairies. L’absence et la solitude, aussi.

Les ambiances cousues main par la Française Emily Loizeau – qui signe ici sa première réalisation – viennent appuyer des textes et des mélodies qui sonnent juste. Lorsqu’elle parle, la voix rieuse de l’auteure-compositrice n’évoque pourtant aucun malheur, pas un soupçon de tristesse. Ses chansons sont le miroir d’une part d’ombre qui se révèle peu autrement. "Quand j’écris, dit-elle, c’est ce côté de moi qui sort, presque tout le temps. En fait, j’ai eu de la difficulté à trouver des pièces plus ensoleillées pour ce disque. Mais ce qui domine, ce n’est pas de la tristesse non plus. Une mélancolie, de la nostalgie, ça oui. Une certaine intimité, aussi." Une vérité, ajouterait-on. Un souffle de vie.

On y reviendra

Pour le moment, on exhume le passé pour découvrir les racines de ces chansons qui ont trop de finesse dans la livraison et dans l’écriture pour n’être que des premiers essais. Si l’on n’est jamais autre chose que la somme de nos talents et de nos expériences, Salomé Leclerc possède des qualités d’interprète, de musicienne et de parolière qui lui permettent de se tenir sur le fil suspendu de la chanson, celui duquel la plupart tombent par manque d’équilibre. Des choses qui s’apprennent. D’autres, pas.

"J’ai grandi à Sainte-Françoise de Lotbinière, j’avais deux frères plus vieux que moi", raconte Leclerc en s’amusant de remonter si loin aux sources d’elle-même. À 10 ans, elle s’installe à la batterie pour donner la mesure à ses frères rockeurs. Puis, c’est la guitare. À 15 ans, elle accompagne des amis à Secondaire en spectacle, et l’année suivante, elle compose sa première chanson afin de participer au même concours. Elle atteindra la finale provinciale qu’elle ne remportera pas. Puis, il y aura d’autres concours (Granby, Ma première Place des Arts, Cégeps en spectacle). L’exode vers Montréal pour des études en lettres. Puis l’ATM à Jonquière. L’École de la chanson à Granby. Et c’est là, avec quelques pointures du genre, qu’elle travaille l’écriture comme un artisanat, un mélange de coeur et d’intelligence. Autrement, elle aiguise sa technique à la guitare.

C’est beaucoup celle-ci, avec les mélodies, qui la place aux côtés d’influences avouées, dont elle s’avère une fière héritière plutôt que de porter maladroitement leur poids. Les Cat Power, PJ Harvey et Feist dont Salomé a assimilé la finesse de jeu (finger picking, accords plaqués réverbérés, effusions sonores qui font voler en éclats des bulles intimistes), mais aussi la capacité à fignoler des ambiances qui triturent les zones sensibles sans dériver vers le pathos.

Tout y est juste, mesuré. Presque chaque chanson de Sous les arbres donne l’impression d’être une lettre patiemment écrite et réécrite pour en maximiser l’effet, mais que Salomé aurait peu eu le courage d’envoyer. "À l’École de la chanson, Marie-Claire Séguin nous faisait faire un travail dans lequel il fallait répondre à plusieurs questions concernant nos chansons. Parmi celles-là, il fallait dire à qui elles s’adressaient. Depuis ce temps-là, quand je m’assois pour écrire, même si ce n’est pas un sujet personnel, qui me touche directement, j’imagine toujours à qui je parle."

Elle a 25 ans, mais un coeur et une âme qui font au moins le double. Une simplicité qui décuple son charme. Mais par-dessus tout, elle possède un bagage d’apprentissages pratiques et théoriques qui lui confèrent l’intelligence de ne jamais trop en faire, de ne pas aller trop vite ni de brusquer les choses.

Sur scène, elle montre la même économie que sur disque, le même discernement qui permet d’en donner juste assez. Sa voix rauque porte avec force, son petit corps caché derrière celui d’une guitare qui paraît énorme est traversé de spasmes qui font lever un pied botté, l’autre se tournant vers l’intérieur, comme tordu par l’intensité du moment. On la sent tendue, retenue par une force en même temps que traversée par un courant fort.

"Je suis bien sur scène", dit-elle en évoquant ses expériences en concours. Mais il y a plus: on y croit. Ce qu’elle fait est sincère, et c’est en cela que réside sa plus grande force. Ses chansons parcourent un territoire foulé mille fois, mais avec l’honnêteté qui fait la différence, qui valide tout. "Ce qui compte, dira-t-elle, c’est aussi la manière de livrer la chanson, de la vivre." Et Salomé Leclerc ne se contente pas de livrer. Tout en elle est vrai. Son chant est un signe vital.