Harvest Breed : Agents de changement
Nouveau nom. Même groupe. Les membres d’Harvest Breed lancent un quatrième album folk-rock, une superposition d’influences maîtrisées.
Le local de répétition d’Harvest Breed se situe quelque part à Sherbrooke, dans une ancienne usine transformée en un immense entrepôt. Un condensé de briques rouges où règnent quelques fantômes se manifestant par un écho feutré. Des édifices du genre, on en trouve dans toutes les villes industrielles d’Amérique. Des groupes comme Harvest Breed, c’est plus rare.
Sur l’étage où s’exercent les six musiciens, des boîtes en attente d’être livrées forment des corridors. Et sur une table, ce sont les pochettes d’Everything Changes, quatrième disque des anciens Jake and the Leprechauns, qui sont disposées en des lignes parallèles. L’ordonnancement est temporaire car la trajectoire que prendra l’opus folk-rock, enregistré une fois de plus avec Mark Lawson (d’Arcade Fire), demeure imprévisible.
Ampli en mains, Philippe Custeau me fait faire le tour et relate son concert de la veille. Salle comble et qualité d’écoute. Tout était au rendez-vous pour ravir celui qui écrit les textes du groupe, une poésie sans couplets ni refrains, habillée de musiques par Charles-Antoine Gosselin. "Je ne me pose jamais de questions quant à l’écriture de chansons, explique Philippe. J’ai peur de trop réfléchir sur ce que je fais, que ça me bloque à certains égards. C’est pour moi encore naïf et pur. Et Charles-Antoine a un talent vraiment extraordinaire pour comprendre émotionnellement mes textes, pour leur trouver une mélodie." Chaque composition bénéficie ensuite de l’apport de Maxime Rouleau, Marc-André Gosselin, Sylvain Lussier et Simon Bergeron.
Une fois l’ampli déposé dans un coin, le parolier entérine la nouvelle appellation du groupe. "Quand je me suis mis à analyser le disque, le thème du rêve revenait encore – c’est récurrent chez moi -, mais il y avait aussi celui du changement. Je le retrouvais à plein de niveaux, et ça coïncidait bien avec le nouveau nom du groupe."
Dans le livret d’Everything Changes, une nouvelle introduit les paroles des chansons. L’histoire a inspiré un clip animé (à visionner sur la Toile) et permet d’établir l’univers de l’album. "En poésie, on parle souvent de l’importance des titres. Surtout en poésie contemporaine. Le titre est énigmatique, ne semble pas avoir un rapport direct avec le texte, mais ça installe tout de suite une atmosphère, un état d’esprit."
La nouvelle suit une conversation entre deux amis. L’un des deux exprime son impression de parfois vivre la vie de quelqu’un d’autre. Ce sentiment, Philippe Custeau le connaît. "Jeune, je sentais que je n’étais pas à la bonne place, que je ne devais pas me trouver ici. Pas à Sherbrooke, pas au Québec. J’avais des cartes sur les murs de ma chambre. Je rêvais de la Californie, de grands espaces, de l’océan… Je voulais voyager. Après, j’ai vécu longtemps aux États-Unis. Ici, on a le terroir, la langue… Là-bas, c’est la route, la famille, le patriotisme… Les tensions sont différentes, et tout ça m’habite, influence mon écriture."
Par cet enracinement bipolaire, l’américanité des textes accentue leur portée contemporaine. "J’essaie d’écrire des chansons qui peuvent apporter quelque chose." Quant aux musiques, l’exercice de composition et d’enregistrement a représenté un bond vers le passé. "Plus que jamais, on était dans le mood 70’s. On a enregistré 70’s, avec les techniques 70’s et des instruments 70’s."
"Avec les trois premiers albums, on a appris à enregistrer, relate Custeau. Le problème, c’est que tu deviens obsédé parce que tu peux tout corriger à l’ordinateur. Tu ne te libères pas de ça. Quand tu enregistres sur bandes, tu ne peux pas y retoucher. Ça te satisfait une première fois, et après, tu dois vivre avec."
Et le groupe semble très bien vivre avec sa lente ascension. Si Harvest Breed se voyait transporté par le succès, la chanson We Were Famous and We Kicked Walnut Leaves laisse présager que l’expérience serait vécue avec maturité, voire une certaine conscience des fatalités. "La phrase provient de Richard Brautigan, un poète beat des années 60. Il écrivait des affaires complètement insensées, avec parfois deux ou trois lignes de génie absolu. "We were famous and we kicked walnut leaves" m’est restée en tête, et j’ai construit la chanson autour de ça. C’est devenu l’histoire d’un groupe de musiciens qui a connu le succès et qui regarde sa carrière avec ironie, qui critique les jeunes… Dans le milieu musical, ceux qui sont là depuis longtemps s’approprient une certaine autorité. Pourtant, ce n’est pas parce que tu fais partie des meubles que tu as nécessairement fait de bonnes affaires…"
Harvest Breed
Everything Changes
(Landlocked)
En magasin le 10 avril