Sepultura : Loin de la sépulture
Malgré les changements, Sepultura se montre inébranlable et le chanteur Derrick Green s’est imposé avec une volonté de fer. Le groupe brésilien revient à la charge avec l’album Kairos.
Les frères Cavalera (le chanteur Max, maintenant à la tête du groupe Soulfly, et le batteur Igor) n’y sont plus, mais Sepultura continue d’écrire son histoire et entame un nouveau chapitre avec la maison de disques Nuclear Blast Record depuis 2011. En écoutant parler le chanteur Derrick Green, on constate d’ailleurs que cette histoire est au centre des préoccupations du quatuor, qui s’efforce toujours d’offrir en tournée une rétrospective en règle de l’évolution musicale de l’ensemble trash métal. Green a relevé le défi de remplacer Max Cavalero en 1997 et cette nouvelle tournée, qui appuie la sortie de l’album Kairos, revêt un caractère particulier pour lui. Pas de doute, l’artiste est particulièrement fier de célébrer ses 15 années de service. "Si je prends le temps de regarder en arrière, je pense bien que d’avoir déménagé à São Paulo au Brésil a été l’un des moments marquants de ma vie, constate-t-il. Mais ce qui a surtout compté pour moi, ce sont toutes les tournées avec Sepultura. C’est dans ces circonstances que tu apprends à connaître tes collègues et que tu te transformes par le fait même. On a travaillé fort et nous sommes restés créatifs. Je dois l’admettre, Sepultura a changé ma vie!"
Effectivement, depuis l’arrivée du chanteur afro-américain dans le groupe, on ne peut pas dire que la formation a manqué d’audace. Après Roorback en 2003, Sepultura a produit coup sur coup trois albums-concepts dont les thématiques ont piqué notre curiosité. Le tout dernier, Kairos (un mot qui pourrait représenter le moment clé qui impose sa trajectoire à l’existence), a plongé les membres du groupe dans une séance de réflexion où leurs vies ont été scrutées à la loupe. "C’est une approche différente, et le coeur de cet album est autobiographique et personnel. On a décidé de s’accorder le temps nécessaire pour se définir à l’intérieur de ce groupe et porter un regard sur notre vie. Que sommes-nous devenus après toutes ces années et pourquoi? Kairos, c’est LE moment. Les discussions étaient plus profondes qu’à l’accoutumée. Mais pourquoi ne pas être honnêtes, et continuer cette aventure avec un nouveau souffle? Avec les années, on se retrouve presque à la merci d’un rythme de vie qui nous fait oublier d’où on vient et ce que nous sommes. On est constamment en tournée et on rencontre des centaines de nouveaux visages… c’est un tourbillon! Cet album représente un engagement, une prise de conscience."
Ce genre d’exercice pourrait devenir un véritable cauchemar pour plusieurs, mais dans le cas de Green et de ses acolytes – Andreas Kisser (guitariste), Paulo Jr. (bassiste) et le tout nouveau batteur Eloy Casagrande -, il semblerait bien que les discussions à caractère philosophique sont monnaie courante en studio. Par exemple, l’album Dante XXI était inspiré par La divine comédie de cet auteur, et A-Lex faisait une synthèse des thèmes abordés dans le classique et controversé roman A Clockwork Orange (L’orange mécanique) d’Anthony Burgess, qui a été adapté au cinéma par Stanley Kubrick. "J’avoue que ces dernières années, on a décidé de se poser de grandes questions! constate-t-il en riant. Mais c’est normal de vouloir se ressourcer. Je respecte les fans de Sepultura de nous avoir suivis dans ces nouveaux projets. Nous sommes chanceux."
"L’album Dante XXI était une production ambitieuse [et presque symphonique] qui a généré son lot de débats. Mais c’était plus fort que nous, on devait passer par cet exercice. Avec A-Lex, on affichait nos convictions en revisitant une oeuvre qui est encore d’actualité. Dans le fond, on essaie de revenir sur certains ouvrages du passé pour mieux comprendre et décortiquer cette société. Avoir des convictions, c’est une chose. Encore faut-il comprendre pourquoi on les défend avec autant d’intensité."
Passionné par les ouvrages historiques, Derrick Green, qui habite maintenant Prague en République tchèque avec sa famille entre deux tournées, avoue cultiver une passion boulimique pour la littérature depuis longtemps. Aujourd’hui encore, malgré l’agenda chargé du groupe culte brésilien, une passeuse privilégiée se charge de garnir sa bibliothèque avec assiduité. "Ma soeur travaille pour une maison d’édition américaine! Assez régulièrement, je me retrouve avec un colis et une pile de livres dans laquelle je pige. Et je dois dire que le fait d’habiter Prague est très enrichissant. São Paulo, c’était unique, mais il y avait beaucoup trop de tout! À Prague, l’histoire est partout et tu as le temps de profiter de la vie sans être submergé par une ville."