Loco Locass : Attache ta tuque!
Panne d’inspiration, carré rouge, Beastie Boys, Québecor et Power Corporation… Loco Locass est de retour et joue cartes sur table.
Très peu d’artistes peuvent se permettre de passer huit ans sans lancer le moindre album. En cette ère de zapping culturel, une telle disette devrait être fatale, ou à tout le moins synonyme d’une abrupte côte à remonter. Pour Loco Locass, l’effet fut inverse. Non seulement le trio rap québécois s’est-il maintenu parmi les importantes têtes d’affiche de nombreux festivals, mais les succès populaires et ponctuels des pièces Le but (inspirée du Canadien de Montréal), Hymne à Québec (composée pour la série Québec-Montréal) et M’accrocher? (utilisée dans le film Tout est parfait d’Yves Christian Fournier) ont permis au groupe de rester bien vivant dans la tête des Québécois.
Il faut aussi avouer que Loco Locass a fait jaser pour les mauvaises raisons. Certains ont décrit l’attendu nouveau disque du groupe, Le Québec est mort, vive le Québec!, comme étant notre Chinese Democracy, faisant référence aux longues années d’attente (15!) qui ont précédé l’album de Guns N’ Roses. Puis les critiques adressées au combo relativement à ses associations avec Québecor ont atteint des sommets lorsque Biz confirma son embauche à titre de professeur d’expression orale à Star Académie.
Soulagés d’avoir enfin sous le bras leur nouvel album en vente le 12 juin, Biz, Chafiik et Batlam savent qu’ils doivent maintenant faire face à la musique. "Nous considérons les Loco Locass pris au centre d’une guerre entre deux empires médiatiques", se mouille Biz d’emblée. "On dirait que si tu t’associes avec l’un pour monter des projets, forcément, t’es contre l’autre. En tant qu’artistes, nous revendiquons une position libre et en dehors du feu croisé impérial."
Non seulement le rappeur fait-il ici référence aux projets auxquels il a participé (Le Moulin à paroles, Québec-Montréal, Star Académie), mais il fait allusion à une couverture médiatique jugée défavorable de la part du principal concurrent du Journal de Montréal, La Presse. "Québecor nous a proposé de composer Hymne à Québec en nous donnant carte blanche, poursuit Biz. C’est un projet qui nous ressemblait. Les gens de La Presse ont beau jeu de nous accuser de fricoter avec Québecor, Paul Desmarais ne nous propose jamais rien. Et comme par hasard, lorsque La Presse annonce qu’on se produira lors d’un concert à la mémoire des patriotes, ils utilisent une photo de nous avec des chapeaux du Canada sur la tête. Nous n’avons mis ces chapeaux qu’une seule fois, pour un gag dans un gala Juste pour rire avec Guy Nantel. Or, sachant qu’il existe des centaines de photos de presse des Loco Locass, le simple fait de choisir celle-là apparaît clairement comme un acte délibéré. Je ne suis pas un fan de la théorie du complot, mais faut pas nous prendre pour des cons non plus."
Le trio concède toutefois que les différentes associations avec Québecor n’ont pas suscité le questionnement d’un seul média. À ce sujet, la meilleure défense viendra de Chafiik: "Pour nous, le choix est clair. Pierre Karl Péladeau est pour une parole qui porte le Québec. Desmarais nie le Québec. Entre ces deux géants capitalistes qui ont tous deux leurs travers, notre choix est facile. Nous préférons celui qui travaille pour l’épanouissement du Québec et non celui qui veut l’écrapoutir."
Le sujet se refermera sur ces phrases de Biz: "Puisque nous avons un lien de parenté, je vois PKP une ou deux fois par année. On parle du Québec, des Nordiques et je lui répète que je ne suis pas d’accord avec Sun News, que je ne comprends pas. Cette relation est étrange pour le public et l’est tout autant pour moi. Est-ce que la gauche recule lorsqu’un chanteur engagé se dit ami avec Péladeau? Si on s’aperçoit un jour qu’il influence mon discours et ma manière de penser, oui, mais ce n’est pas le cas."
LA PANNE SÈCHE
Chose certaine, Péladeau n’est pas épargné sur Le Québec est mort, vive le Québec!. Le président et chef de la direction de Québecor est pointé du doigt dans Tout le monde est malheureux (avec la participation de Gilles Vigneault), une pièce consacrée à l’avarice et à l’insatisfaction chronique sociétaire. Le jeu compulsif (Kevin et Gaétan), le suicide (M’accrocher? en version allongée), la place du français à Montréal (Occupation double), la religion (Le mémoire de Loco Locass) et l’émancipation du peuple québécois (Les géants, [Wi]) font partie des autres thèmes abordés. "Pour retrouver l’inspiration après Amour oral, il a fallu se pencher sur d’autres grands thèmes que les libéraux parce que la situation politique inchangée au Québec nous a d’abord coupé les ailes, précise Batlam. Après avoir écrit Libérez-nous des libéraux, nous n’avions pas envie de recommencer, même si l’urgence de la situation le commandait."
Le rappeur et comédien aperçu dans le film Dédé, à travers les brumes l’avoue sans se dérober: le groupe a mis huit ans avant de lancer un nouveau disque parce qu’il a dû traverser une panne sèche d’inspiration. Pour Biz, le processus de composition se compare à un puits d’eau. "Après Amour oral, le puits était vide. Et quand il ne pleut pas, le puits ne se remplit pas. Après, c’est la nappe phréatique qui a été contaminée par le gaz de schiste (vol d’équipement en 2008, projets personnels). Mais un jour, il y avait assez d’eau pour ramasser une chaudière."
Cette chaudière, elle s’est remplie à la vitesse grand V en février dernier, lorsque Loco Locass s’est fait proposer de jouer sur les plaines d’Abraham lors de la Fête nationale, dans quelques jours. "Cet événement est un peu le summum pour le groupe, confie Chafiik. Nous ne pouvions pas refuser, mais nous ne voulions pas remonter sur scène avec nos vieilles chansons. Il nous restait deux mois et demi. Nous avons travaillé jour et nuit pour terminer le disque."
Moins urgentes, quoique toujours viscérales, et plus musicales que sur Amour oral, les compositions du Québec est mort, vive le Québec! s’inscrivent dans la continuité pour le trio qui mise une fois de plus sur ses talents bruts: exploration musicale, prose inventive et livraison habile. "Je crois que pendant toutes ces années, nous avions sous-estimé la puissance de notre travail de groupe, poursuit Biz. Fondamentalement, nous sommes une cellule de création qui fonctionne à trois, mais nous pensions pouvoir travailler chacun de notre côté pour pallier l’absence des uns… Ça a pas marché. Il a fallu se retrouver pour multiplier nos talents, plutôt que de les additionner."
CASSEROLES DEPUIS 2003
Avant la Saint-Jean à Québec, Loco Locass se produira sur la place des Festivals dans le cadre des FrancoFolies de Montréal. Le groupe y attend ses fans, mais aussi ces carrés rouges invités récemment par le fondateur même des FrancoFolies, Alain Simard. "Je trouve que Simard a su se positionner intelligemment face aux manifestants qui envahissent chaque soir le centre-ville de Montréal, commente Batlam. En les invitant sous prétexte que les FrancoFolies sont aussi une "manifestation" de notre culture francophone, il a géré le dossier d’une bien meilleure manière que Gilbert Rozon de Juste pour rire. Et on va se dire les vraies affaires: des manifestants, il y en aura partout lors de notre concert au centre-ville."
"Il y a juste les casseroles qui soulèvent des interrogations, enchaîne Chafiik. Nous aimerions que les gens les apportent pour faire du bruit entre les pièces, sauf que s’ils les sortent pendant les chansons, ça risque de devenir cacophonique. Mais de toute façon, le mouvement des casseroles me rend si fier des Québécois, si fier de les voir s’extirper de Virginie pour enfin manifester leur mécontentement, que les interdire serait contre nature."
Proscrire les chaudrons lors des spectacles de Loco Locass serait surtout oublier que le groupe chante "Faire éclater notre ras-le-bol, une débâcle de casseroles / Trêve de paroles, faites du bruit!" depuis déjà 2003. Libérez-nous des libéraux.
Loco Locass
Le Québec est mort, vive le Québec!
(Audiogram)
En vente le 12 juin
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Hommage aux Beastie Boys
Reprenant en page couverture la célèbre pochette de l’album Check Your Head des Beastie Boys, Loco Locass a voulu saluer le trio rap new-yorkais affligé par la mort du MC Adam Yauch le 4 mai dernier.
Biz: "Pierre Falardeau et les Beastie Boys sont les pères spirituels des Loco Locass. Sans le premier, notre discours ne serait pas le même, et sans les deuxièmes, nous aurions écrit de bien beaux textes, mais nous ne les aurions pas rappés."
Batlam: "J’étais au secondaire lorsque le rap et les Beastie Boys m’ont percuté. J’étais déjà un fan des chansons à texte, comme celles de Brassens, mais entendre un discours pertinent sur du gros beat, ça m’a renversé."
Chafiik: "C’est en écoutant la chanson Brass Monkey de l’album Licensed to Ill que j’ai eu le désir de fonder un groupe de rap à trois. Les Beastie Boys m’ont appris comment nous pouvions nous passer le micro avec intelligence et utiliser notre voix avec virtuosité."
Petite mise au point à l’adresse de Chafiik: «Virginie», c’est du passé; maintenant, c’est «Trente vies».
Est-ce que ça change quelque chose à ton propos?
Drôle de choix de titre, considérant qu’ Atach Tatuq est aussi le nom d’un groupe de rap québ défunt
(Tu as signé un article sur leur rupture le 2 fevrier 2006).
Mais bon…. je te dis ça vraiment »Sans Pression »