Colin Stetson : Des trucs plein son sax
Musique

Colin Stetson : Des trucs plein son sax

Spectaculaire saxophoniste, le Montréalais Colin Stetson contribue à ramener l’instrument au goût du jour sur l’échiquier rock mondial.

La mélodie du regretté saxophoniste de Men at Work, Greg Ham, frappe l’imaginaire dès les premières mesures de Who Can It Be Now. Courte et musclée, elle a catapulté le titre au firmament des classiques rock des années 80. Dans le vidéoclip, Ham surgit de l’obscurité dans un appartement glauque avec l’imposant tube de laiton à la bouche. Sa démarche est décontractée, aussi cool que son solo de sax.

Dans une maison d’Ann Arbor dans l’État du Michigan, le jeune Colin Stetson est vite happé par le clip. Branché sur MTV plusieurs heures par semaine, il en a vu d’autres, mais s’imagine tout de même singeant les gestes de Ham, saxophone à la main. Il repensera aux mêmes images lorsque, à 10 ans, il se joindra à l’orchestre de son école primaire et choisira l’instrument à vent comme arme de prédilection.

"Rien n’était très sérieux au départ", se souvient Colin Stetson 25 ans plus tard. "Je jouais à l’école et dans un petit groupe de reprises. Nous interprétions n’importe quelle chanson rock qui incluait des arrangements de sax."

Polyphone saxophone

Déménagé à Montréal en 2007 pour rejoindre sa copine, le musicien est aujourd’hui considéré comme l’un des meilleurs saxophonistes au pays. Sollicité par Tom Waits, Arcade Fire, Bon Iver, David Byrne et bien d’autres, il ensorcelle à son tour les mélomanes avec son jeu rapide, sa respiration circulaire lui permettant de jouer sans pause et cette technique renversante avec laquelle il transforme son saxophone, un instrument à la base monophonique (une seule note à la fois), en machine de guerre polyphonique.

"C’est sans doute la clé de mon succès, précise Stetson. La respiration circulaire et la rapidité d’exécution n’ont rien de renversant en soi. C’est en ajoutant la polyphonie que mon jeu prend tout son sens. J’ai commencé à développer cette technique à l’université. Sous l’influence de John Zorn, je participais à des soirées d’improvisation. Je me rendais bien compte que le sax avait un éventail de possibilités que je n’avais pas encore exploitées. C’est d’ailleurs en voulant émuler les sons de guitare électrique de Jimi Hendrix que j’ai développé ma technique. Pour atteindre de nouvelles sonorités, j’ai commencé à placer mes cordes vocales autrement et à chanter dans mon saxophone en même temps que je soufflais. Tout s’est fait de manière organique et graduelle. Au départ, je ne réalisais pas trop ce que je faisais, mais je me suis amélioré au point d’être capable de faire résonner plusieurs notes en même temps", explique le musicien autant influencé par le rock que par le travail de Mats Gustafsson, Dewey Redman ou Anthony Braxton.

À l’écoute de son dernier album, New History Warfare Vol. 2: Judges, inclus à la courte liste du Prix Polaris 2011 (le volume 1 est paru en 2008), on peine à croire qu’il s’agit d’un enregistrement solo, en direct, sans aucune autre piste d’instrument ajoutée (overdub). Les couches sonores de saxophone s’imbriquent les unes dans les autres pour créer des atmosphères hypnotiques. "J’ai enregistré le disque seul avec 15 à 24 microphones, selon les chansons. Je collais un micro près de ma gorge, un dans mon saxophone, et je disposais les autres autour de l’instrument ainsi qu’un peu partout dans la pièce. Je voulais capter l’ensemble du spectre sonore du saxophone et utiliser des égalisateurs pour en faire ressortir toutes les fréquences. À cause de leurs différentes distances du sax, les micros arrivent à capter les subtilités de l’instrument. C’est comme si j’arrivais à isoler plusieurs saxophones dans un seul. Ça me donne beaucoup de liberté, dont celle de créer quelque chose d’assez unique et personnel."

L’enseignement Tom Waits

Singulière sur disque, la technique de Colin Stetson l’est tout autant sur scène, où il se produit en solo (comme au FIJM) en plus d’accompagner Bon Iver dans sa présente tournée. Nous étions d’ailleurs au Métropolis en décembre dernier lorsque la troupe de Justin Vernon a présenté avec inventivité les pièces de son dernier disque homonyme. Avec une agilité déconcertante, c’était comme si le Montréalais faisait danser son saxophone, accentuant avec brio l’aspect plus expérimental de la performance.

"Travailler avec Tom Waits au début des années 2000 m’a appris à laisser mon ego de côté pour mettre mon saxophone au service de la pièce", explique le musicien invité à participer aux albums Alice et Honey Blood de Waits. "C’est d’ailleurs le plus grand conseil que m’ait donné Tom Waits. À l’époque, je sortais d’une formation jazz et classique, deux milieux où l’on t’apprend à développer une signature pour te distinguer des autres. Or, lorsqu’on collabore avec un artiste, il faut savoir s’oublier, s’élever au-dessus de son ego pour se libérer de tout carcan, et ainsi entrer en parfaite communion avec la chanson."

En concert dans l’intimité du Gesù lors du Festival de jazz, Colin Stetson interprétera quelques pièces de ses deux derniers albums, en plus d’offrir un avant-goût de New History Warfare Vol. 3 dont l’enregistrement est presque terminé. "Puisqu’il s’agit d’un triptyque, le nouveau disque découle du même processus de création que les deux autres, mais je m’améliore chaque fois. Ma technique est supérieure, tout comme ma maîtrise des microphones. Et comme j’arrive à faire des trucs qui m’étaient impensables lors de l’enregistrement du volume 2, j’ai l’impression que tout un pan du saxophone s’ouvre à moi. Ce sera plus mélodique, mais encore plus demandant pour l’auditeur."

C’est d’ailleurs parce qu’il sait sa musique exigeante, un tourbillon sonique jazz avant-gardiste aux relents rock, que Colin Stetson joue rarement plus d’une heure sur scène. "Les gens pensent souvent qu’il s’agit d’une question de souffle, mais ce n’est pas le cas. J’ai des exercices de yoga qui m’aident beaucoup et j’ai arrêté de fumer. Le souffle n’est pas un problème… Généralement, mes doigts me lâchent bien avant mes poumons."