Jean Leloup : Nuit magique
Ouvrons grand la fenêtre; une étoile filante nommée Jean Leloup transperce La nuit des confettis. Rare entrevue avec le génial rebelle de la pop en marge de sa tournée de tous les succès.
Même les plus optimistes sujets de la cour du Roi Ponpon estimaient les chances d’entendre leur monarque chéri chanter sur scène Sang d’encre, Cookie ou La vie est laide sans leur tordre le cou, un traitement qu’il a réservé à plusieurs de ses classiques lors de sa récente tournée avec The Last Assassins, à peine plus grandes que celles d’entendre Dylan interpréter une version intelligible de Like a Rolling Stone.
C’était négliger la nature foncièrement volatile des envies du chanteur, génial vire-capot qui accumule les coups d’éclat et les déclarations péremptoires comme autant de prétextes pour battre en brèche un certain proverbe voulant que les fous ne changent pas d’idée. Revoici donc Jean Leloup armé de son télescope et de sa Telecaster pour La nuit des confettis, une virée des festivals estivaux annoncée en grande pompe comme la tournée de tous les hits. Mais Jean, n’en avais-tu pas soupé de tes vieux succès? "C’est de les chanter tout le temps qui est tannant", nuance-t-il sur un ton remarquablement posé depuis Laval, où il s’apprête ce soir-là à prendre la scène avec une quarantaine de choristes. "Quand tu es dans une période de création, tu ne veux pas tout le temps refaire la même chose. Pour un show d’été à la belle étoile, c’est plaisant de jouer tes meilleures chansons. J’appelle ça faire du répertoire. Le principe est très simple: comme j’enregistre depuis à peu près 25 ans, j’ai choisi une toune que je trouvais bonne par année."
Laissez les chaises de parterre dans le coffre de l’auto, prévient la légende vivante dont les fans ne semblent vieillir jamais. "C’est fou, le public crinque, crinque, crinque. L’autre fois, on a fait deux heures et ça voulait un rappel, j’ai dit: "Wo! Pépé est fatigué!" C’est une méchante pratique ce show-là. Ma voix a descendu de quasiment deux octaves depuis que j’ai commencé. Chanter Isabelle, ça prend du souffle, ça met en forme!"
OUVRIR LA FENÊTRE
Certains téléphages s’étonnaient l’hiver dernier de voir surgir dans leur écran John the Wolf aux côtés des jeunes rossignols de Star Académie. Comment le rebelle de la pop, légendairement jaloux de son temps et allergique aux faux-semblants, pouvait-il oser monter à bord de l’autobus (bulldozer?) du show-business?
"Sérieux, c’était super plaisant. Eille, on a mis des robes de derviche tourneur! rigole Leclerc. La télé, si tu y vas banalement, juste pour faire de la promotion, c’est plate raide. Mais s’ils ont un peu de budget et que tu peux te péter un time avec des décors et des costumes, c’est un trip presque aussi le fun que de tourner un vidéoclip. Et puis personne ne peut résister à l’envie de se déguiser en derviche tourneur, avec la grande robe et le chapeau gigantesque."
Parce que son répertoire est un des plus beaux legs parascolaires que le cégep transmet à ceux qui y passent quelques années, il semblait indiqué d’évoquer avec Leloup ce printemps érable durant lequel a souvent retenti une indémodable ritournelle: "Fuck the system, do it, do it, do it, yeah!"
"Je pense que j’aime mieux qu’on saute cette partie-là de l’entrevue", tranche-t-il, un peu hésitant, après avoir longuement réfléchi. "Je pense que c’est rendu un sujet qui permet aux gens de s’engueuler. C’est pas compliqué, que tu dises n’importe quoi, tu vas te faire lancer des bêtises par la tête."
Long soupir. Puis le verbomoteur s’élance: "Je vais te dire une affaire. En général, moi, j’ai toujours été contre toute. [Rires.] J’ai toujours été contre le système qui est en train de machinaliser les humains. Ça fait longtemps qu’il est là, ce système. C’est commencé depuis crissement longtemps. On dirait qu’on est en train de se faire embarquer dans une grosse machine où les humains auront beau parler, ils vont rentrer à’ job le matin, revenir le soir pis après ça faire du gym. Mais le fun de la vie, c’est toutes les petites fenêtres qui s’ouvrent à côté de cette grosse affaire-là qui est en train de s’installer."
Et Leloup d’enchaîner avec sa toute personnelle définition du mot fenêtre: "Mettons que tu as oublié ton téléphone et que tu marches quelque part, ça se peut que tu rencontres quelqu’un que tu ne connais pas et qu’il se passe de quoi de spécial. Ça se peut que tu voies un lever de soleil parce que baptême, il n’y avait pas d’endroit où coucher, ou que tu sautes dans un lac parce que ça te tente, pis fuck la pancarte qui t’interdit d’y aller! Ben on dirait que ces petites fenêtres-là, il y en aura de moins en moins."
Il ajoute: "Les chansons, ce sont aussi des fenêtres."