Festival Owl's Head : Feux de Bengale et panne de van
Musique

Festival Owl’s Head : Feux de Bengale et panne de van

Au risque de se brûler, Half Moon Run allume sans relâche des feux de Bengale. Récit icarien avec son batteur et claviériste, Dylan Phillips.

C’est une histoire de dénuement et d’abnégation que celle de Half Moon Run. Sur les photos qui accompagnent leur premier album, Dark Eyes, les trois musiciens, dans leur costume d’Adam, courent, feux de Bengale à la main, au coeur d’une forêt glauque comme pour conjurer les mauvais esprits qui pourraient s’y terrer, dans un grand rituel païen à la gloire de la témérité et de la jeunesse éternelle. « Le photographe Tim Georgeson nous a dit: « J’ai cette idée un peu intense et vous devez me faire confiance. » Nous nous sommes mis nus et nous avons couru toute la nuit dans cette noirceur très opaque », raconte le batteur et claviériste du trio, Dylan Philips, surfant entre l’anglais (sa langue maternelle) et le français (qu’il baragouine avec une admirable ténacité). « Le problème, c’est qu’au début de la séance, un des gars m’a accroché la jambe avec son feu de Bengale. Il y a une photo dans le livret sur laquelle on me voit, jambes croisées, et je me souviens que j’étais précisément en train de gérer la douleur qui m’assaillait. Ça ne m’a pas empêché de continuer toute la nuit. J’ai encore une marque sur laquelle le poil refuse de repousser. »

C’est une histoire de dénuement et d’abnégation, vous disait-on, que celle de Half Moon Run, formation montréalaise d’adoption, dans la lignée de Radiohead et Grizzly Bear, dont font également partie le chanteur principal et guitariste Devon Portielje ainsi que le claviériste et guitariste Conner Molander. Dylan et Conner sont originaires de Comox en Colombie-Britannique, Devon d’Ottawa; ils se sont rencontrés grâce à une petite annonce publiée sur le site Web Craigslist par un quatrième larron ayant depuis pris la poudre d’escampette. Une chanson enregistrée en 2010 afin de rendre service à des amis étudiants tombe sur le bon bureau, celui d’Indica Records, qui soumet en poste express un contrat à la formation sur la seule et unique foi de Full Circle, la déclaration de principes tout en percussions tribales et en guitares frémissantes qui ouvre Dark Eyes. « Au moment où l’offre est arrivée, nous songions tous très sérieusement à nous séparer. Nous avions tous des jobs, je poursuivais mon master en piano classique au Conservatoire de musique de Montréal. C’était très excitant de recevoir une telle proposition, mais un peu affolant aussi. J’avais le goût de leur dire: « Vous êtes sûrs que vous ne voulez pas entendre d’autres chansons? Nous en avons tout plein! » »

Le trio enfile dès lors à une vitesse confondante les showcases (des concerts-vitrines présentés devant des journalistes, programmateurs de festivals et gens du milieu), moissonnant à chacun de ses arrêts éloges et hyperboles. « On croise plein de personnes cool dans ces événements-là, mais on se sent parfois comme des brownies sur un plateau. Les réactions sont toujours assez polies. Sur scène, je me sentais parfois plus nu que lorsque je courais dans la forêt avec mon feu de Bengale. On avait hâte de faire une vraie tournée. »

FLEGME DE VIEUX LOUP DE MER

Le jour où nous rencontrons Half Moon Run, la formation s’apprête à donner deux concerts le même soir: un premier sur une grande scène extérieure et un second, plus tard, dans un petit bar. Phillips contemple le défi qui les attend avec le flegme du vieux loup de mer. C’est que sa vraie tournée tant désirée, le groupe a fini par l’obtenir ce printemps, et pas à moitié à part de ça: 32 concerts en 32 jours partout en Europe, c’est ce qu’on appelle du sport extrême. « Nous avons affronté toutes les conditions, se souvient le musicien. Un soir, à Paris, nous avons dû faire un test de son dans un endroit, remballer notre équipement pour nous rendre dans un autre lieu, faire un test de son là-bas, jouer un concert, remballer notre équipement et revenir à l’endroit où nous avions fait un test de son plus tôt pour donner notre concert. J’ai appris à apprécier chaque moment plutôt que de me dire: « Fuck! Comment va-t-on y arriver? » Il y a tellement de choses qui peuvent te stresser qu’il vaut mieux ne pas y penser. Surtout lorsque tu traverses le pont séparant le Danemark de la Suède et que tu peux te contenter de profiter de la vue. »

« Les moments les plus intenses en tournée sont souvent les plus amusants, ajoute-t-il. Une fois, en Colombie-Britannique, notre van a lâché et nous avons dû la rouler jusqu’à Golden et supplier des mécaniciens d’y jeter un oeil. Les options sont tellement limitées dans ces moments-là qu’il vaut mieux rire. Nous n’avions jamais été aussi heureux. »

www.owlsheadfestival.com