Strum : Le tout pour le tout
Trois années et autant de moutures pour le bébé spectaculaire de Patrice Servant, Strum. L’histoire de la guitare. De tous les changements apportés au spectacle plus grand que nature, le plus sérieux s’effectue auprès de ses créateurs. Ces derniers se jettent dans la création tête première, question d’en faire une bête complète et, surtout, on ne peut plus exportable.
Jeudi soir, Vieux-Hull. Voir est convié à un local multifonctionnel (peintre, musiciens et danseurs s’y côtoient, dans un espace de tout au plus 300 pieds carrés) coin Hôtel-de-Ville et Leduc, afin de rencontrer Patrice Servant, alias Servantes, idéateur et créateur principal du projet historico-musical Strum. L’histoire de la guitare, alors que le réputé guitariste flamenco apporte les derniers correctifs à la trame narrative du spectacle en compagnie du coscénariste, le guitariste Robert Poisson.
"La première année, c’était le bébé; l’an dernier, c’était l’adolescent. Cette année, Strum est un adulte", affirme d’emblée Poisson avant d’échanger une poignée de main franche avec l’invité.
Quelques secondes plus tard, Servant nous suggère de le suivre à l’extérieur, pour l’entrevue telle quelle. Au fil des prochaines minutes, une poignée de musiciens se joindront au duo Servant-Poisson, convoqués pour une énième répétition avant de présenter le spectacle à La Nouvelle Scène pour trois soirs à la fin du mois.
"La Nouvelle Scène, c’est l’endroit idéal pour se préparer pour la tournée. C’est un grand carré noir où l’on doit tout placer. Ça nous permet de nous mettre dans le contexte de n’importe quelle salle de spectacle."
Telle est l’intention de Servant: faire voyager le spectacle. Ses premières visées: l’Ontario anglophone, puis le reste du pays. Il explique: "On est convaincus que le spectacle peut voyager. On voit des troupes plus nombreuses qui sont en mesure de faire des tournées. Sortir de la ville, c’est ça qui est le plus difficile. Ce débouché devrait se faire en 2013. Une fois que cette étape-là sera complétée, ce sera vraiment plus facile de vendre notre spectacle ailleurs."
Poisson abonde dans le même sens, puis ajoute: "Strum est un spectacle de grande envergure; le show va à l’encontre des productions réduites à leur strict minimum. Pour un homme d’affaires, c’est pas trop alléchant."
Par soi-même, pour soi-même
Voilà donc la raison principale qui a mené Servant à aller chercher le plus de connaissances possible dans l’éventualité où il autoproduirait Strum, la tournée. "Dans le meilleur des mondes, je voudrais gagner ma vie avec Strum. Pareil pour Robert. Il y a six musiciens de la troupe qui ont confirmé qu’ils seraient partants pour faire de Strum leur carrière. Je ne veux surtout pas confier le spectacle à un producteur qui va finir par nous dicter ce que l’on peut faire ou pas parce que c’est lui qui tient les cordons de la bourse."
Coup de dés s’il en est, Servant justifie cette aspiration par l’esprit de fraternité qui règne parmi les musiciens de Strum. Connaissant les ego parfois surdimensionnés de certains guitaristes, résultat de solos enlevants qui soulèvent facilement la foule, on pourrait suggérer qu’une compétition – saine, certes – règne entre les différents musiciens. Servant assure qu’il en est tout autrement: "J’ai fait partie de 30 bands depuis que j’ai six ans et je n’ai jamais ressenti quelque chose d’aussi fort. Un mot pour décrire ça? Je dirais famille. Des musiciens qui mettent de leurs énergies pour le bien commun dans quelque chose qui, visiblement, coûterait des millions à produire, ça crée des liens."
Poisson tente une explication: "La dynamique est différente, aussi, et c’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles les musiciens sont si près les uns des autres. Contrairement à un show normal, chaque musicien fait des interventions. Les musiciens se retrouvent en stand-by, beaucoup plus près du théâtre que du concert. Ça ne met pas les musiciens en confiance, eux qui sont habitués de faire comme bon leur semble. La première année, il a fallu éduquer les musiciens. Et c’est dans cette mise en danger que des liens se sont forgés."
Retour de trois
Du deuxième spectacle présenté à l’automne 2011, les créateurs ont retenu plusieurs apprentissages. "On a jaugé la réception du public, explique Servantes. C’est la raison pour laquelle on a ajouté un narrateur cette année. Ce sera le luthier, personnifié par Ronald Brennan."
Ce personnage-narrateur se greffe à l’équipe comprenant les susmentionnés Servantes et Robert Poisson, mais aussi Ricky Laurent, Mr. Rubberfinger, Ming Zhang, Steve Groves, David Charrette, Vincent Boudreau, Chris Saint-Louis, Jérôme Tremblay, François Ouimet, Olivier Henchiri, Marion Joncas et Jacynthe Gauthier-Hudon. Cette addition viendra mettre en scène des moments clés de l’histoire de la guitare, de sa genèse, le luth et l’oud arabe, aux moments plus sombres, jusqu’aux guitar heroes modernes à la Hendrix et Clapton. Il permettra une fluidité accrue; il sera le guide. "C’est toujours en constante évolution, note Poisson. On peut changer des choses cinq minutes avant d’entrer sur scène. Mais dans ce cas-ci, c’est vraiment le show de la maturité. C’est tout un exploit que d’avoir réussi à porter le show pendant trois ans; ça démontre un engagement total de la part de l’équipe."
Poisson conclut, catégorique, avec dans ses mirettes grises des étincelles: "J’veux surtout pas nous comparer au Cirque du Soleil ou aux autres spectacles de claquettes, mais je crois qu’il existe un marché pour un spectacle comme Strum. Je sais qu’on tient un produit d’une qualité exceptionnelle entre nos mains, et que ça ne fera que grandir et grandir."