Michael Kiwanuka : Soul sensuel
D’abord nourri par la scène punk-grunge des années 90, Michael Kiwanuka est ensuite tombé dans le soul, un registre qui lui sied à merveille sur son premier album Home Again.
Le premier disque de Michael Kiwanuka, Home Again, est atterri sur le bureau avec son lot d’appréhensions. Récipiendaire du prestigieux Sound of BBC 2012, un prix remis à l’artiste le plus prometteur de l’année selon le diffuseur public britannique, le chanteur anglais d’origine ougandaise était présenté comme la nouvelle sensation de la déjà très contingentée vague soul rétro. Que pouvait-il bien amener que l’armée Daptone, étiquette phare de ce renouveau sans précédent pour les musiques funk et soul, n’avait pas déjà exploité?
Propulsé par Tell Me a Tale, une chanson parfaite sur le plan mélodique et dans laquelle la flûte, le violon et les cuivres s’unissent dans une danse hypnotique, le disque fait ensuite place aux influences folk et blues de Kiwanuka dans I’m Getting Ready. On comprend alors que Home Again n’est pas le typique album "soul revival" attendu. Bien plus fragile et sensuel que la majorité des relectures Motown contemporaines, le disque a mérité un abonnement d’une durée encore indéterminée dans le lecteur de la maison. Que ce soit pour un souper entre amis, un brunch familial ou, surtout, une fin de soirée pénard avec sa blonde, le gravé réchauffe l’atmosphère, fait vibrer les murs au son des magnifiques complaintes du chanteur.
"C’est l’approche humaine du soul qui touche les gens encore aujourd’hui", explique Michael Kiwanuka à propos des vertus thérapeutiques du genre. "Toute notre vie, nous nous reconnaîtrons dans cette chaleur organique qui me semble souvent absente de la musique pop actuelle. Cette humanité rend d’ailleurs le soul intemporel. Peu importe que l’album soit vieux ou récent, l’auditeur y trouve quelque chose à quoi s’accrocher. On peut s’y reconnaître, comme lorsqu’on rencontre un ami."
DE COBAIN A REDDING
Né en 1988, le musicien a grandi dans le nord de Londres après que ses parents eurent décidé de quitter l’Ouganda, quelques années plus tôt, pour se sauver du régime d’Amin Dada. "Ils me parlaient parfois de la situation là-bas, me disaient que le type au pouvoir n’était pas très gentil, mais ce n’était pas une fixation. J’ai encore de la famille en Ouganda. J’y vais parfois pour voir mes oncles, mes tantes et mes cousins, mais je ne crois pas que mes racines ougandaises aient réellement influencé ma culture ou ma vie en général. Pour moi, le facteur qui détermine le plus ta personnalité n’est pas tant ton pays d’origine ou d’adoption, mais ton éducation."
L’enfant de la classe moyenne ne fait donc référence ni à l’Ouganda ni à l’Angleterre lorsqu’il chante la pièce-titre du compact, Home Again. "Non, je ne fais pas allusion à un endroit physique, mais à un état d’esprit. Pour moi, home again signifie être bien dans sa tête, être soi-même à nouveau. Ce n’est même pas une question de pays ou de ville, mais le simple fait d’être enfin heureux dans sa peau."
Ainsi, même si Michael Kiwanuka voyage sans répit à travers l’Amérique du Nord et l’Europe depuis la parution de l’album en mars dernier, le chanteur comparé à Bill Withers et Otis Redding ne quitterait jamais vraiment sa maison? "Ah, non. S’il y a quelque chose que je déteste des tournées, ce sont justement toutes ces heures d’attente à l’aéroport, dans les avions et à la douane. Ça me donne l’impression d’être immobile. Je déteste ça. J’ai peur que cet immobilisme se reflète dans mon oeuvre, alors j’essaie de profiter des temps morts pour écrire de nouvelles chansons et avancer artistiquement. C’est d’ailleurs lorsque la vie est plus difficile avec moi que je compose mes chansons les plus personnelles. Comme si les mélodies et les paroles me venaient plus rapidement."
ROCK’N’SOUL
Mais avant de s’enraciner dans les musiques noires des années 70, Kiwanuka est passé par celle des Blancs de la décennie 90, alors qu’il reprenait des titres de Nirvana et Green Day avec son premier groupe, dès l’âge de 13 ans. "Puisqu’à la maison, la musique se limitait aux cassettes de Mozart que faisait parfois jouer ma mère au souper, c’est à l’école que j’ai vécu mon éducation musicale. Ça a commencé par le grunge. J’ai découvert ensuite Bob Dylan, Jimi Hendrix, les Beatles, le hip-hop. Et puis ce fut la claque Otis Redding à 14 ans. Je suis tombé amoureux de son timbre vocal et de ses chansons qui mariaient tout ce que j’aimais de la musique: les mélodies, le romantisme, la guitare, le rythme."
Repéré par Paul Butler de la formation The Bees qui l’a invité à son studio sur l’île de Wight, Michael Kiwanuka a passé une bonne partie des deux dernières années sur un traversier. "Au départ, j’y allais quelques jours tous les quatre mois pour peaufiner mon son, découvrir le chanteur que j’étais. C’est là que les sonorités des années 70 ont réellement fait leur entrée dans ma musique. J’écoutais Al Green, les Jackson 5, Innervisions de Stevie Wonder. J’y ai d’abord enregistré mes deux premiers EP (Tell Me a Tale et I’m Getting Ready), puis l’album complet. À la fin, j’y allais tellement souvent que le bateau a fini par me rendre malade", blague en conclusion le musicien qui se produira dans le cadre d’Osheaga.
Présenté à 16h10 le dimanche après-midi, son spectacle s’annonce déjà comme l’un des plus beaux moments du festival.