Arlt : Chasseurs-cueilleurs
Musique

Arlt : Chasseurs-cueilleurs

Superbe ovni, dérapage contrôlé mis en chansons, la musique de Arlt échappe à tout. Sauf à un désir de liberté qui brûle ces Français qui veulent bien se faire aimer, mais se moquent d’être compris.

Elle, c’est Eloïse Decazes. Lui, c’est Sing Sing, comme la prison. Parfois, il y a Mocke qui les rejoint. Ensemble, ils sont un écrivain argentin, puisqu’ils ont volé leur nom de groupe à Roberto Arlt. On ignore pourquoi au juste. Quand ils ont choisi le patronyme, ils n’avaient rien lu de l’auteur.

Leur musique participe du même principe, du même esprit à fragmentation (comme la grenade) dont les critiques se gardent bien, généralement, de le décrire ou même de tenter la comparaison. C’est qu’il faut emprunter plusieurs avenues à la fois pour commencer à cerner Arlt. Pour l’esprit, pour l’extrême liberté et ce tutoiement avec la folie, on pense parfois à Brigitte Fontaine et Areski. "La comparaison ne nous gêne pas, dit Sing Sing. ll y a des points communs. Allez savoir dans quelle mesure ils nous ont influencés (on ne les a pas écoutés tant que ça, à vrai dire), mais nous avons toujours admiré leur noblesse, leur audace, leur sens baroque du paradoxe. Mais leur extrême singularité les protège de toute imitation."

Après La langue, premier essai décrit comme un ovni qui plane au-dessus de la chanson française, Feu la figure confirme le talent du duo à fignoler des musiques émancipées qui crient leur désir de liberté avec une ferveur et une intelligence impossibles à feindre. Leurs chansons un peu déglinguées, parfois furieuses et le plus souvent absurdes empruntent souvent à la folk, parfois à la bossa-nova. Elles ont la beauté triste et le joyeux délabrement d’une fête tzigane, l’esprit de Pierre Barouh et s’offrent avec le décharnement formel de la PJ Harvey des débuts. "Nous en avons fréquenté d’autres plus assidûment, poursuit Sing Sing. Chanteurs édentés de country blues fantomatique, sirènes britanniques spécialistes en hypnose… Nous sommes nourris de tas de choses. Free-jazz, comptines pour enfants, Erik Satie, musique médiévale, rock’n’roll primitif. Mais vous savez, la musique ne se nourrit pas que de musique. Comptent aussi l’amour et les liqueurs, l’érotisme et la trouille. C’est un territoire, la musique, qu’il faut arpenter un peu à la façon de chasseurs-cueilleurs, vous voyez?"

Quelque chose de beau et sincère émane des chansons de Arlt. On les sent loin de la posture, du jeu de ceux qui prendraient le public pour des cons en regardant ces derniers se gratter la tête tandis que le sens des textes glisse comme des truites entre leurs mains et que les dérapages sonores bousculent l’équipage. En fait, Sing Sing dit ne pas savoir comment naissent les chansons. "Ça n’est pas une coquetterie ni une marque de fabrique. Tout surgit toujours de façon inattendue, comme au détour d’un chemin que nous n’avions pas prévu d’emprunter."

Enregistrées sur le vif, leurs chansons se cabrent ensuite sur scène pour réclamer une nouvelle attention. Et si elles échappent à la compréhension, ils s’en moquent. "Nous ne chantons pas pour être compris, de toute façon. Une chanson, ça n’est pas un discours, c’est un objet mal identifié qui génère par la musique et la parole une espèce d’énergie trouble et électrisante. C’est un champ magnétique qui peut appeler à la danse, à la rêverie, au souvenir, au désir, à la répulsion. Ce qu’une chanson est censée toucher comme zone sensible ou terminaison nerveuse chez l’auditeur n’a que peu à voir avec la compréhension. Il ne s’agit pas de comprendre mais d’être "saisi". En tout cas, c’est notre sentiment."

Le 25 septembre
Au Cercle