Radio Radio : Parler pour jaser
Radio Radio écrit les textes de ses surréalistes chansons en jasant de tout et de rien. Et c’est exactement ce que nous avons fait avec eux.
Milieu d’après-midi. "J’ai faim", s’exclame Jacques Alphonse Doucet devant la scène extérieure du Festival international de la chanson de Granby sur laquelle son groupe, Radio Radio, vantera ce soir-là les avantages d’un 9 Piece Luggage Set. À quelques mètres de là, Alexandre Arthur Bilodeau drible avec un ballon de basketball. Visiblement timide, le faiseur de beats ne participera pas à l’entrevue.
Sous un soleil de plomb, Jacques arbore l’attirail du gentleman-rappeur devenu la marque de commerce de son trio: chapeau, chemise bien repassée, veston, Ray-Ban et bottes en cuir. Pourquoi as-tu si faim, s’enquiert le journaliste, presque inquiet? "Je suis rentré tard dans mon condo hier soir, j’étais à l’extérieur depuis un bout et je n’avais que de la bière et du jus dans mon frigidaire."
Alors on marche vers la pâtisserie Tartes et clafoutis sise de l’autre côté de la rue pour discuter et remplir le bedon du Néo-Écossais. Une jeune automobiliste freine brusquement, presque témérairement, pour nous laisser passer, les yeux écarquillés. "Yé donc ben cute!" s’exclame-t-elle en détaillant Jacques de pied en cap, éberluée par sa tenue qui en jetterait partout, mais qui en jette encore plus au centre-ville de Granby, pas exactement le plus fertile creuset de dandysme.
Le journaliste: "As-tu entendu ce qu’elle vient dire?"
Doucet: "Non."
"Elle a crié: "Yé donc ben cute!" Je pense qu’elle parlait de toi."
"Elle parlait peut-être de toi", rétorque l’artiste. C’est ainsi que sont les membres de Radio Radio: gentlemen au point de défier la pure et simple logique.
CIABATTA?
Gabriel Louis Bernard Malenfant fait son entrée quelques minutes plus tard alors que la sympathique fille de café bombarde Doucet de questions. "Quel pain préfères-tu pour ton sandwich: baguette, croissant ou ciabatta?" demande-t-elle en prononçant le "c" de ciabatta comme un "s" et non pas comme un "ch", tel que le veut la langue italienne, ce que Malenfant, pince-sans-rire, ne manque pas de relever. "Dis-tu ciabatta [il prononce comme elle] ou ciabatta [il surarticule comme un Italien de carte postale]?" La serveuse reste interdite. Malenfant finit par casser le malaise qui grossit à vue d’oeil: "Hey, on est Radio Radio, faut que tu prennes nos leçons de prononciation avec un grain de sel." Tout le monde rigole, y compris la fille de café.
De quoi a-t-on parlé pendant ce goûter, donc? De tout et de rien, comme dans les 15 capsules Parler pour jaser mises en ligne le printemps dernier afin de souligner la parution du byzantin troisième album du trio, Havre de grâce. En vrac, nous avons évoqué: la physique quantique (physique quantique + chiac = journaliste confus), la conclusion de la cinquième saison de Mad Men, le cock rock de Dance Laury Dance (que Jacques affectionne), le country du chanteur américain Alan Jackson et les lois de Newton. "C’est de même qu’on écrit, plus ou moins, explique Doucet. On commence avec un sujet normal et on finit avec quelque chose de pas rapport, de ben fucké."
Allez savoir pourquoi, l’hologramme du défunt rappeur Tupac Shakur (rappel: un hologramme du MC comptait en avril parmi les invités spéciaux d’un concert de Snoop Dogg et Dr. Dre) allait occuper une large partie de nos échanges. "J’en parlais avec un ami l’autre fois", lance Malenfant comme s’il brûlait depuis des jours de s’exprimer sur ce sujet précis. "C’est un peu weird, tu peux jouer avec la crédibilité des artistes. Je ne sais pas si des gens vont se mettre à vendre les droits pour leur hologramme après leur mort. Imagine que tu te fous de ton futur, tu pourrais vendre pour ben de l’argent les droits et permettre de faire dire n’importe quoi à ton hologramme. Imagine si Tupac disait: "People, vote Romney!""
Nommé au prochain gala de l’ADISQ dans les catégories Groupe de l’année et Album hip-hop de l’année, Radio Radio s’accommode assez bien de ne pas frayer avec la scène hip-hop québécoise pure et dure. "Le milieu hip-hop, c’est assez large comme genre et comme lifestyle, rappelle Malenfant. Je ne pense pas qu’aux États-Unis, Kanye West hang avec Bone Thugs-n-Harmony. Nous, on s’identifie plus aux premiers rappeurs comme Melle Mel [Grandmaster Flash and the Furious Five], qui était super flamboyant: leather pants, cowboy boots. Il y avait une féminité assumée dans le hip-hop."
"On respecte beaucoup Alaclair Ensemble dans le hip-hop québécois. Si on n’était pas en nomination, on aimerait que Maybe Watson [un des membres d’Alaclair] gagne le prix de l’album hip-hop de l’année", conclut Doucet.
Gentlemen, qu’on vous disait.
Le 21 septembre à 20h30
Au Théâtre Granada