Cécile Doo-Kingué : Mille couleurs grises
Sur Gris, son premier album entièrement en français, Cécile Doo-Kingué fait tanguer sa musique entre vices et vertus.
"Mais ça ne me tente plus d’être polie ou d’être patiente", chante Cécile Doo-Kingué sur la chanson Aunt Jemima pour clamer, quelques secondes plus tard: "Mange tes stéréotypes, leave me the fuck alone."
Non, rien à faire. Gris, le nouvel album de l’auteure-compositrice-interprète camerounaise, new-yorkaise, française et montréalaise d’adoption est tout sauf… gris. "C’est vraiment une conception de la vie, dans la mesure où je ne crois plus aux absolus. Tout change de perspective au fur et à mesure qu’on vieillit. Que ce soit en ce qui concerne ma perception de la vie, des relations interpersonnelles, y a rien d’absolu. C’est ce cheminement, ce changement de philosophie qui se reflète dans les chansons. Aussi, ce métissage qui me définit, puisque je suis un mélange de tout plein de trucs. Le gris représente ce métissage."
Si son premier album, Freedom Calling (2010), portait çà et là des vers ancrés dans la langue de Molière, Gris s’inscrit comme son tout premier opus complètement en français. Pourquoi maintenant? Doo-Kingué explique: "Les deux langues sont mes langues maternelles. J’ai grandi à New York. C’est pas nécessairement un choix conscient d’écrire complètement en français. Ça fait seulement partie intégrante de qui je suis. Voilà."
Sur Invitation au voyage, sans doute la première chanson d’amour écrite par une femme pour une autre femme (Cécile est mariée à l’auteure-compositrice Tricia Foster, qui l’accompagne sur la chanson en question), Doo-Kingué affirme avec émotion: "Chaque cicatrice dit mon histoire / Passé gravé sur peau noire". Est-ce la langue qui lui permet d’être aussi personnelle? "Il y a des écrivains qui sont plus conteurs. Dans mon cas, l’écriture, c’est un peu comme un exorcisme. Je parle plus de moi dans mes chansons que dans la vraie vie."
"Cette chanson-là, c’est le récit de notre rencontre. J’ai rencontré Tricia alors que je vivais une période très… noire, à défaut de trouver un meilleur mot. En gros, Invitation au voyage est une invitation à prendre une chance. Si t’es prête à m’endurer, moi, je suis prête à aimer. En général, j’ai évité les chansons d’amour, mais je vois bien qu’elles m’ont rattrapée!" s’esclaffe-t-elle.
Coïncidence ou non, Gris marque aussi une mouvance vers des sonorités encore plus blues, que ce soit sur la chaloupante Harmonie du soir ou sur La bouteille, qui sent la fumée des bars et où la guitare électrique vole la vedette. "C’est drôle qu’on puisse trouver que Gris est plus blues que le premier. Pour moi, les deux albums sont aussi world, aussi blues l’un que l’autre. Le soul, le blues, la musique africaine, c’est un continuum. Oui, on pourrait dire que c’est plus homogène, mais la base reste soul."
Enregistré avec une pléiade de musiciens émérites – Anique Granger et Kim Richardson, entre autres, y participent, alors que l’opus a été coréalisé avec Gern f. des United Steel Workers of Montreal -, Gris revêt ce côté sale et rude que l’on attribue aux soirées passées à boire dans les bars un peu miteux. Doo-Kingué conclut: "Je voulais faire voir ce côté un peu rude de la vie, de la chair de la vie. Gris sent la vie."
Cécile Doo-Kingué
Gris
(In the Bedroom)
En vente dès maintenant
Le 8 novembre à 20h
Avec Le Paysagiste
À la Quatrième Salle du CNA