lackofsleep : Extatique insomnie
Ennemi juré de la banalité, lackofsleep a enrôlé notre reporter dans un pèlerinage biographique en prévision de la parution de son premier album, wøøds. Yeux bandés pour nuit presque blanche.
Vendredi soir, 21h15. Les phares de la vannette de tournée de lackofsleep s’éteignent devant mon appartement, avant que n’en sortent, clopes au bec et écharpes au cou, le chanteur Charles L., suivi du guitariste Félix B. Depuis mon balcon, la lune éclaire de biais les sourires sournois des deux kidnappeurs, qui m’invitent à m’asseoir dans le siège du passager. Félix me bande les yeux à l’aide d’un foulard piqué dans le costumier d’Aerosmith.
Charles met le contact et libère par le fait même la sinistre lamentation de Robert Smith que crachent les haut-parleurs, comme pour mieux souligner la douce étrangeté de ma cécité temporaire. Nous roulons dans Sherbrooke sans que je ne connaisse la première destination de cette balade sur les traces de l’histoire du groupe dans laquelle on m’a enrôlé. Le prétexte: wøøds, premier album des vainqueurs de l’événement Sherbrooklyn 2011, paraît sous peu.
PREMIER ARRÊT: CÉGEP DE SHERBROOKE
Après une périlleuse marche main dans la main avec Charles, on dénoue le foulard qui me couvre les yeux et j’ouvre les paupières sur le petit boisé qui borde le bâtiment abritant le Département de musique du Cégep de Sherbrooke. C’est ici, en 2001, que Charles, enfin libéré de son Val-d’Or natal, et Félix, tout juste sorti de Stoke, fraternisent pour la première fois.
"J’avais été soufflé par un arrangement d’un morceau de Cradle of Filth qu’il avait fait au piano", se souvient Félix au sujet de son camarade qui, à l’époque, se défonçait les oreilles au métal. "Il ne chantait pas encore à l’époque, ajoute le guitariste. Il était plus introverti." Quelques années séparent encore Charles L. de la fiévreuse et charismatique bête de scène qu’il deviendrait.
DEUXIÈME ARRÊT: WOODSTOCK BAR (ANCIEN LOCAL DE HOAX MOTEL)
Le petit manège se répète dès que je repose les fesses sur le siège du passager: même foulard sur les yeux et même suspense cultivé, bien qu’au son d’une musique différente cette fois-ci, celle de Funeral d’Arcade Fire. Choix de bande-son significatif pour une filiation assumée: wøøds partage avec ce jalon monumental de l’indie rock montréalais un goût certain pour les refrains épiques ainsi qu’une manière de cracher au visage de la Faucheuse en affichant une pétulance de tous les instants.
"Tu vois là-bas, au fond du couloir", me dit Félix une fois assis dans le building où loge aujourd’hui le Woodstock Bar, "c’était le local de notre premier groupe, Hoax Motel."
Après quelques mois de répétition, le premier concert à l’agenda de la formation mort-née est annulé. Le Presse Boutique Café, où devait se tenir l’événement, vient tout juste de fermer ses portes.
TROISIÈME ARRÊT: PRISON WINTER
Lors d’un voyage à Boston à bord de la caravane des marionnettistes du Bread and Puppet Theater, Charles L. croise le chemin d’une troupe de musiciens italiens nommée Titubanda, avec qui il bourlingue jusqu’à New York. "C’est un des gars du groupe qui m’a quasiment forcé à chanter", se rappelle Charles, assis dans la vannette maintenant stationnée devant la prison désaffectée. "Au début, j’avais zéro confiance en moi, mais je sentais que ça me faisait du bien. Petit, j’étais du genre à faire mon show devant tout le monde. J’ai commencé à renouer avec ce côté-là à partir de ce moment."
De retour à Sherbrooke, le nouveau chanteur met sur les rails b.e.t.a.l.o.v.e.r.s, collectif folk aux inclinaisons prog et expérimentales dont s’éprennent rapidement de nombreux mélomanes qui affluent lors de concerts souvent impromptus. L’aventure tourne cependant en eau de boudin à mesure que les rapports entre les membres se disloquent. Charles cherche à canaliser ce désir pour des chansons moins introspectives qui le travaille au corps. Un coup de fil à Félix plus tard, la paire rebranche les amplis dans le local qu’occupe le guitariste au coeur du pénitencier.
"J’ai rarement vu autant de sincérité chez quelqu’un. Charles se pitche tête première dans la musique, confie Félix. Contrairement à plusieurs musiciens avec qui j’ai joué, il est animé par un réel désir de s’exprimer. C’est précieux."
QUATRIÈME ARRÊT: GROOVE BOX
"Je me rappelle souvent les paroles de Jessica Moss de Thee Silver Mt. Zion. Elle m’avait dit: "Un jour, tu vas tomber sur des musiciens avec qui ça va cliquer, avec qui tu n’auras besoin de rien expliquer." C’est exactement ce qui s’est passé ici. J’arrivais avec des idées de tounes et c’était comme si les gars les avaient jouées toute leur vie", raconte Charles L., assis par terre dans le vestibule empestant l’humidité d’un immeuble décrépit de la rue Alexandre.
Félix Bergeron, à qui Charles avait demandé de poser des rythmes sur les morceaux élaborés dans la prison avec l’autre Félix, occupait ici en 2010 un vaste appartement (surnommé Groove Box pour des raisons obscures), vite transformé en quartier général du projet plus tard baptisé lackofsleep. Le coloc du batteur, Andy B. (claviers), et leur ami d’enfance, Charles-Emmanuel L. (piano, claviers), se joignent à la bande lors de longues soirées d’extatiques insomnies, qui se succéderont sans relâche jusqu’à ce que Bergeron quitte pour l’Indonésie (Didier B., son jeune frère, serait élu digne successeur).
"Maudit qu’on dormait jamais dans ce temps-là", répète Félix accoudé au Boquébière (notre cinquième arrêt), avant d’échanger un regard entendu avec Charles. La nuit est jeune et les deux amis semblent résolus à faire encore une fois honneur au nom de leur groupe.
lackofsleep
wøøds
(Indépendant)
En magasin le 23 octobre
Spectacle-lancement le 26 octobre
Au Téléphone rouge