Cold Specks : Entre l’ombre et la lumière
Cold Specks vainc avec une grâce toute soul la douleur du deuil. Rencontre privilégiée avec la plus entière des jeunes chanteuses canadiennes.
Médiation constante entre les forces de l’ombre et celles de la lumière, le premier album de Cold Specks, I Predict a Graceful Expulsion, appartient à cette catégorie d’oeuvres d’une beauté propre à infliger un sombre vertige chez l’auditeur. C’est que Al Spx, auteure-compositrice derrière le projet, se jette à corps perdu dans ses chansons, prête flanc avec une soufflante témérité aux trous noirs du désespoir qui menacent à tout moment de l’engloutir. Il y a une vulnérabilité confinant presque à l’impudeur dans la voix aussi soul qu’écorchée de cette fille qui communie à l’autel du deuil dont on triomphe, malgré cette conviction qu’elle a que nous sommes poussière et que nous retournerons à la poussière ("we are dust / into dust we will all return").
Sur disque, Al met ses tripes sur la table, sans ménagement. En entrevue téléphonique, la native d’Etobicoke en Ontario protège jalousement l’accès à son royaume, comme si l’oiseau de nuit se renfrognait au contact du soleil. Voici après tout une musicienne qui se camoufle derrière deux couches de pseudonymes (vous aurez deviné que Al Spx n’est pas son vrai nom). "J’avais beaucoup de mal à assumer le contenu de mes chansons", explique-t-elle, laconique, bien qu’avec un sourire dans la voix. "Je souhaitais en adoptant ces pseudonymes préserver une sorte de vie privée, de jardin secret."
Remarquée par le réalisateur anglais Jim Anderson, l’ami d’un ami à qui elle avait envoyé une démo, Spx s’envolait en 2010 pour Londres afin d’enregistrer son premier album, que les blogues spécialisés porteront aux nues dès sa parution en mai dernier. L’étiquette à la fois ridicule et on ne peut plus adéquate, doom soul, que la jeune vingtenaire employa à la blague pour qualifier sur sa page Facebook cette manière qu’elle a de chanter avec une enveloppante chaleur les souffrances les plus âpres, allait coller, et son premier simple, Holland, se répandre comme une traînée de poudre. Au point où Al, par instinct de survie, dut remiser pour un temps le funèbre refrain. "C’était très difficile au début de côtoyer soir après soir sur scène certaines de ces chansons très personnelles. J’ai cessé d’en jouer quelques-unes pendant un bout, pour mieux les revisiter maintenant."
Au fait, que signifie ce titre d’une mystérieuse beauté, I Predict a Graceful Expulsion? "Pour être complètement honnête, je ne suis pas sûre de savoir moi non plus ce que ça peut bien vouloir dire", avoue la principale intéressée en étouffant un rire de gamine. "Il faut lâcher prise avec grâce, en douceur, laisser le passé au passé. C’est ce que je voulais évoquer, je crois."
Cold Specks, qui comptait parmi le groupe sélect des artistes canadiens s’étant taillé une place sur la courte liste du prix Polaris 2012, accompagne présentement Adam Cohen dans sa tournée québécoise avant de regagner le studio. "Mes nouveaux morceaux ont peut-être un peu plus de rythme, mais ils sont encore sombres. Mon prochain disque sera encore déprimant", promet-elle dans un rassurant élan d’autodérision.
En première partie d’Adam Cohen
Le 29 octobre à 20h
À la Maison de la culture de Waterloo
Le 6 novembre à 20h
Au Théâtre Centennial