Chilly Gonzales : L’ombre et la lumière
Génie autoproclamé de la musique, Chilly Gonzales cultive son personnage avec la finesse des publicitaires qui travaillent une image de marque. Mais aussi avec coeur, humour, et un entêtement d’entrepreneur qui lui vient de son père. Court portrait de l’homme seul au piano.
Pianiste et rappeur. Modeste et frimeur. Virtuose et businessman. Artisan de l’ombre et bête de scène. Chilly Gonzales est tout et son contraire. C’est peut-être ce qui en fait l’un des plus fascinants personnages du monde musical.
Et il le sait.
"Je suis conscient de mon image, dit-il depuis Cologne, où il vient d’emménager. Je crois que les musiciens devraient assumer qu’ils sont une marque. Je sais que ce terme peut choquer les gens, ceux qui croient que les artistes devraient être authentiques et purs, alors parlons plutôt d’une réputation. Mais reste que le système a changé, que les carrières ne tournent plus nécessairement autour de la parution d’albums et que la promotion de la musique est faite de plusieurs choses: les collaborations qu’on choisit, les changements artistiques qu’on fait d’un album à l’autre, les salles où l’on joue, les musiques qu’on vend ou non à des pubs et à des films… Ce n’est pas être "vendu" de penser ainsi, mais plutôt être le gardien de sa propre réputation."
Cette conscience aiguë de la carrière et de la perception des autres s’avère un moteur pour celui qui a étudié la musique à McGill. Frustré par la scène musicale canadienne, il part pour Berlin en 1999. Plus tard, ce sera Paris. "Je devais me réinventer", raconte-t-il. Ce qu’il fera, pour une première fois, jouant d’abord dans les plates-bandes de l’électro et du rap avant d’atterrir dans les studios, comme homme de main et réalisateur, cumulant les collaborations prestigieuses aux côtés des Jane Birkin, Peaches, Feist et Daft Punk.
Du coq à l’âne
En parallèle, il compose et enregistre Solo piano, en 2004. Un bouquet de pièces courtes, qui renvoient au travail d’orfèvre d’Erik Satie, mariant le jazz, la musique classique et la pop. La forme est squelettique, le résultat bouleversant de beauté et de mélancolie. Comme si Gonzales avait été touché par la grâce. "Ça conserve une certaine idée de la pop, comme tout ce que je fais, mais à laquelle on aurait enlevé les arrangements, les textes… Les émotions, dans ce contexte, semblent très puissantes. Quand les gens me racontent leur relation avec mes albums "piano" [le second vient de paraître], je me rends compte que cette musique les a accompagnés dans des moments importants de leur vie, que leur relation avec cette musique évolue. C’est vraiment très flatteur, surtout quand ils me disent que cette musique les a aidés à créer quelque chose, ou à surmonter la perte de quelqu’un. C’est sans doute ce que j’ai fait de plus intime. Peut-être justement parce qu’il s’agit d’un homme seul et de son piano, sans artifices. Quelque chose de pur, quoi."
Virage sur les chapeaux de roues, en 2008, Gonzales fait paraître Soft Power: un échec commercial, le public boudant la pop funk manière Bee Gees de cet album à l’éclectisme déstabilisant. "Mais plutôt que de blâmer les autres, de m’apitoyer sur mon sort, je savais alors qu’il fallait que je bouge, que j’étais responsable de cet échec, mais aussi de mon succès à venir." Alors il se réinvente à nouveau. Il retrouve la particule Chilly (laissée de côté depuis quelques années) pour remodeler sa marque, brise le record Guinness pour la plus longue performance d’un artiste solo en jouant du piano pendant plus de 27 heures et aligne les projets, dont le film (et sa bande-son électro) Ivory Tower qu’il scénarise, et dans lequel il joue un as des échecs aux côtés de Tiga et Peaches. Puis, il vend sa pièce Never Stop à Apple pour les publicités du iPad: consécration de l’artiste qui sait se mettre en vente.
Le succès, la manière
Chilly Gonzales est un modèle d’affaires. Il revient par boucles à ses différents champs d’intérêt, à mesure qu’il parvient à renouveler son vocabulaire pour chaque genre. Comme avec Solo piano II, cette fois influencé par la musique minimaliste de Steve Reich. Comme avec The Unspeakable Chilly Gonzales (2010), un retour au rap qui renvoie à The Entertainist (2000). Et lorsque les choses ne fonctionnent pas, il y va d’un coup d’éclat qui braque les lumières sur le projet suivant, sur un coup d’éclat. Gonzales est sa propre firme de relations publiques.
"Il y a une culture dans laquelle on naît, on grandit, et de laquelle on ne peut jamais tout à fait se défaire. Et moi, je suis né dans l’esprit de compétition. Mon père était un immigrant, un homme d’affaires qui a réussi par la force du travail. Mais je ne dis pas que je suis obsédé par la compétition… En fait, je ne suis pas certain jusqu’à quel point j’assume ce côté-là. J’aurais pu faire beaucoup plus d’argent, vendre plus de musique à la pub; je ne l’ai pas fait. Et en étant pianiste et rappeur, disons que j’ai pris un chemin particulier, pas du tout évident pour me faire aimer. J’aime la compétition. Je l’assume: je veux le succès. Mais à ma manière. En fait, c’est avec moi-même que je suis en compétition. Ce deuxième album de piano, c’est ça: pour voir si je peux faire mieux encore."
Le 11 novembre à 18h et 21h
Au Théâtre Petit Champlain
Antenne-A
Derrière la venue de Chilly Gonzales se profile le travail d’une équipe de production à laquelle on doit un pan du renouvellement de l’offre musicale à Québec. D’abord un festival, né en 2006, et qui allait se tenir annuellement pendant quatre ans, Antenne-A a muté pour proposer une offre musicale annuelle. "Au départ, l’objectif, c’était de faire rayonner le quartier Saint-Roch et de proposer des spectacles à teneur électro et indie, ce qui était moins fréquent à l’époque", raconte l’un des fondateurs, Jean-Claude Anto, qui est toujours aux commandes. "Puis, on a fini par trouver que le festival était moins pertinent, qu’il valait mieux distribuer l’offre."
Antenne-A, c’est désormais 50 à 60 spectacles par année, dans une capitale qui reconnaît dans la compagnie de production un gage de qualité. "Je pense qu’en proposant des spectacles régulièrement, poursuit Anto, on a contribué à la santé de la scène d’ici, et aussi à l’émergence de groupes naissants, de projets hors norme. Finalement, on a développé une clientèle qui vient parfois voir nos spectacles sans trop connaître l’artiste, mais en sachant que si c’est nous qui le produisons, elle a de très fortes chances d’y trouver son compte."
Au calendrier des productions Antenne-A /
– Jason Bajada, 10 novembre, au Cercle
– Avec pas d’casque et Tire le coyote, 16 novembre, au Cercle
– Gros Mené et Ponctuation, 23 novembre, au Cercle
– Les Appendices, 30 novembre, au Cercle