Richard Séguin : Chanson(s) pour durer toujours
La voix de Richard Séguin s’élève au milieu du silence depuis maintenant 40 ans. Regard sur une oeuvre-cri avec un de nos plus importants faiseurs de chansons.
Silence. Le mot reviendra comme un leitmotiv au cours de notre longue conversation avec Richard Séguin, généreux interlocuteur à la scène comme à la ville. Reviendra comme il revient souvent dans Ma demeure, luxueuse anthologie de trois disques et d’un DVD (aussi offerte en version allégée d’un seul disque sous le titre Les classiques) soulignant les 40 ans de carrière et les 60 ans sur Terre du plus célèbre résident de Saint-Venant-de-Paquette. "Les chansons sont des sculptures de silence, explique-t-il. Si tu enlèves les silences dans une chanson, elle n’existe plus."
"Ma chanson la plus importante, c’est La raffinerie", ajoutera plus tard l’auteur-compositeur avant de citer les phrases-clés de ce texte de suie et de sueurs, regard sans complaisance sur l’état de quasi-esclavage auquel a toute sa vie été réduit, comme tant d’autres ouvriers, son père. "Je garde un cri sauvage / Comme unique héritage / Je garde un cri sauvage / Tout au creux de ma cage / J’vais crier pour toi."
"La génération de mon père et de mes oncles vivait dans le silence. Les colères qu’ils n’exprimaient pas finissaient par les faire imploser. Je n’avais pas envie de vivre dans ce silence, j’avais envie d’aller plus loin. La chanson est un des rares espaces de liberté où il était possible de le faire."
Briser le silence
Briser le silence, c’est la principale tâche à laquelle s’est attelé Richard Séguin, constate-t-on en remontant le fil de l’oeuvre d’un artiste caméléon qui sera toujours parvenu à subordonner les sonorités de l’époque à ses préoccupations de citoyen solidaire et d’homme sensible, et non pas le contraire, un fait d’armes en soi.
Briser le silence, c’est à bien y regarder ce que font déjà Les Séguin, duo phare de la génération fleurs dans les cheveux que Richard forme avec sa soeur jumelle Marie-Claire, sur Som Séguin (enregistrée en 1972), chanson inaugurale de leur premier album homonyme pleurant le sort réservé aux Premières Nations. "J’ai grandi dans un milieu ouvrier, mais la musique prenait une grande place, se souvient le chanteur. Ces racines-là m’habitent profondément, je le constate avec l’âge. J’ai une conscience vive du fait que mon grand-père jouait de l’accordéon. Quand Marie-Claire et moi sommes partis faire de la musique, nos parents nous ont encouragés. On accomplissait quelque chose auquel ils n’avaient pas pu rêver."
En 1978, c’est un Séguin au visage poudré de blanc, épaulé par un certain Serge Fiori, qui demandera à son amour de l’aider à porter ce "silence qui devient trop lourd" dans la prenante Chanson pour Marthe, cafardeux extrait du mythique album Deux cents nuits à l’heure.
Puis, à partir de 1985, un Séguin affamé rescapera du marasme post-référendaire dans lequel elle s’enlisait la chanson francophone. "Gilles Vigneault dit que la chanson est un miroir de poche, et personne n’avait le goût de se regarder à cette époque-là."
Le working class hero se transforme alors en Springsteen appalachien, pionnier de l’ère du vidéoclip (auquel sa gueule de sex-symbol s’arrimait parfaitement) et hurle les "vingt-quatre heures de combat" (Journée d’Amérique) que doit traverser chaque jour la vaste majorité du continent, contrainte à faire taire les "rêves qui brûlent au fond de sa poitrine". La pop star Séguin élira domicile au sommet des palmarès pendant près de 10 ans grâce à des refrains fédérateurs remplis de wo-oh-oh et de nah-nah-nah, comme Double vie, Ici comme ailleurs et Aux portes du matin.
Rester debout
Moins omniprésent depuis Microclimat (2000), mais toujours solide comme le roc, Séguin taille à la main, avec une pertinence sans cesse renouvelée dont peu de ses contemporains peuvent se targuer, un monument de folk ensauvagé qui enjoint à prendre la parole (Écris, écris) et ne se prive pas de fustiger le silence enrageant que camoufle la langue de bois des puissants (Lettre au PM).
"Cette année, je finissais mon spectacle avec Les temps changent [The Times They Are A-Changin’ de Dylan telle que traduite par Pierre Delanoë et Hugues Aufray]. Il n’y a pas un mot de ce texte qui ne résonnait pas toujours dans l’actualité. Protest Song, je ne pensais pas la ressortir, mais Harper m’a forcé à le faire. Je l’ai pourtant écrite pendant le règne de Ronald Reagan. Ce sont des chansons qui, malheureusement, restent."
Les raisons de la colère demeurent intactes, donc. Tout comme la puissance du cri de Richard Séguin, qui soulage à chacun de ses refrains le Québec d’un silence qui menacerait autrement de l’écraser. Silence qu’ils sont peu à savoir aussi bien sculpter que lui.
Richard Séguin
Ma demeure – Anthologie
(Spectra)