Ingrid St-Pierre : Gamine, pas gamine
Musique

Ingrid St-Pierre : Gamine, pas gamine

Ingrid St-Pierre sublime la mélancolie en douillet état de grâce avec L’escapade, un deuxième album sur lequel la gamine cède parfois les ivoires et le micro à l’amoureuse.

L’escapade «révèle une Ingrid St-Pierre plus grave et plus charnelle», écrivait-on au moment de la parution du deuxième album de l’auteure-compositrice il y a quelques semaines, ce qui n’a pas manqué de faire sourciller certains collègues qui n’avaient pas encore tendu l’oreille. «La virginale Ingrid, charnelle? Voyons donc!» s’exclamaient-ils, dubitatifs.

«Je perds le nord, la raison, mes vêtements / Et sur la pointe des phalanges / Tu collectionnes ma peau d’amante», susurre pourtant de sa voix reconnaissable entre toutes une St-Pierre visiblement plus si gamine que ça dans Les avalanches, pièce de résistance d’un triptyque de chansons d’amour (que complètent La planque à libellules et Feu de Bengale) sur lequel plane le spectre d’une inéluctable séparation. «Ç’a été la première que j’ai écrite pour l’album, se rappelle la principale intéressée. Je voulais me détacher de cette image de gamine et de gaffeuse qui me colle à la peau. Je vais toujours conserver mon esprit de gamine, mais je voulais assumer, oui, un côté un peu plus charnel.»

Elle ajoutera pudiquement plus tard, alors qu’on s’aventure à lui demander comment a réagi l’amant aux divines phalanges: «Il y a quelques gars qui m’ont dit: “J’aurais aimé que Les avalanches ait été écrite pour moi.” Je trouve ça tellement flatteur.» L’auteur de ces lignes doit-il vraiment ajouter qu’il appartient à ce groupe de jaloux?

 

Détour par l’anglais

Étonnamment, il aura fallu que la chanteuse s’immerge d’abord dans l’anglais pour apprivoiser les notes plus graves de son registre, qu’elle avait peu fréquentées sur Ma petite mam’zelle de chemin, paru en mai 2011. «Le premier album, je l’ai instinctivement conçu pour chanter très, très aigu, explique-t-elle. Sur le deuxième, j’apprivoise ma voix grave. Comme je me suis rendu compte que lorsque je chante en anglais, j’exploite plus les possibilités que m’offre ma voix, je chantais toujours un peu en anglais en m’installant au piano pour composer.»

Ingrid St-Pierre ne s’est tout de même pas transformée en Nina Simone, ni en Barbara, depuis la première assiette de piquantes Pâtes au basilic qu’elle nous a servie. En témoignent les espiègles histoires qu’elle met en orbite dans Valentine ou Coin Livernoche. «J’ai eu envie d’aller vers des textes plus impressionnistes dans certains cas, mais je veux aussi encore écrire des histoires avec un début et une fin. Je crois que ça vient de mon amour pour la chanson française. J’ai beaucoup écouté Bénabar, Renan Luce, Camille, qui sont très versés dans le récit.»

À l’instar des Leonard Cohen, Elliot Smith et Angus & Julia Stone, figures tutélaires nommément évoquées dans L’escapade, la chanteuse sait elle aussi élégamment amadouer la mélancolie, sublimant cet état cousin du désespoir en douillet état de grâce. La mélancolie: une amie contre laquelle se blottir. «Je me suis permis cette fois-ci d’assumer ce côté-là sans me sentir mal. Ma mélancolie n’est jamais lourde, ce n’est jamais très, très noir. Je ne veux pas downer les gens.» Tu ne nous downes pas Ingrid, bien au contraire.