Gros Mené : Fausses idoles
Musique

Gros Mené : Fausses idoles

En ressuscitant son projet rock trash Gros Mené, Fred Fortin ajoute une nouvelle pierre à l’autel du rock québécois.

Malgré ce que son sobriquet au sein de Gros Mené pourrait laisser croire, Fred Fortin tient plus du caméléon que du «Vieux Brochet». Mi-homme-orchestre, mi-chanteur folk émérite, Fortin est aussi un mercenaire (on l’a notamment vu derrière la grosse caisse des Breastfeeders et sous la courroie d’une six cordes grinçante à bord dela Galaxiede son collègue Olivier Langevin). En octobre, le caméléon revêtait sa toge de missionnaire pour répandre la Bonne Nouvelle: Pierre Bouchard a tué son drum, mais – trois jours plus tard – celui-ci a ressuscité. En vérité, je vous le dis: Gros Mené revient en force avec Agnus Dei, un deuxième album espéré, mais inattendu.

Un hasard qui fait bien les choses

Treize années séparent Tue ce drum, Pierre Bouchard – premier disque désormais culte du projet stoner rock de Fortin – d’Agnus Dei, une deuxième station plus léchée, mais aussi mordante. Selon le principal intéressé, cette nouvelle offrande de Gros Mené tient davantage de la chance, voire du miracle, que du projet réfléchi. «C’est un hasard, en fait. Je voulais monter un nouveau projet de musique qui groove sans nécessairement que ce soit Gros Mené», raconte le chanteur. Après avoir composé quelques pièces, ce dernier a vite réalisé que ses nouvelles compositions siéraient bien à son fameux violon d’Ingres dormant. «Je me suis dit: “On va peser su’l gaz, pis on verra ce que ça va donner!”»

Même si Gros Mené demeurait en hibernation, le projet s’est permis quelques soubresauts au sein du pan plus folk de la carrière de Fortin (Grandes jambes, qu’on retrouve sur Plastrer la lune, en témoigne d’ailleurs). Une décennie plus tard, la bête s’éveille complètement et s’amuse avec son genre de prédilection. «Le premier disque, je le voyais presque comme un documentaire sur un band, alors que sur Agnus Dei, Gros Mené se retrouve endoctriné et Pierre Bouchard devient son prophète. On s’y sacrifie pour le rock!» explique Fortin entre deux lampées. Puis, il sourit et s’exclame: «C’est ça, Agnus Dei, c’est un sacrifice pour demeurer dans les bonnes grâces du Gros Mené!» Ainsi, sans être aussi hilarant que Spinal Tap, le nouveau cru du groupe s’amuse, lui aussi, avec les conventions du rock… tout en jonglant avec différents batteurs.

À la vie comme au hockey

Les premières balises d’Agnus Dei ont été posées l’année dernière pendant l’Action de grâce, période sainte où Fortin s’est isolé dans son chalet pour composer. Sans parler d’écriture automatique, l’auteur-compositeur-interprète avoue créer très vite. «Comme je joue de tout quand je travaille sur une toune, je ne m’attarde pas trop sur les paroles. C’est donc très spontané, très près de l’émotion», explique-t-il, faisant toutefois valoir que Gros Mené, derrière ses artifices très rock, demeure un projet on ne peut plus sérieux. «Je me donne autant pour un texte de Gros Mené que pour “mes propres tounes”, sauf que ces dernières sont plus introspectives, plus “tranquilles”. Gros Mené me permet d’explorer de nouveaux mondes. Gros Mené, c’est plus vicieux; c’est plus baveux!»

Retrouvant certains collègues de la première heure, dont le fameux Pierre Bouchard ainsi qu’Olivier Langevin, Fortin semble avoir prévu la grève dela LNHen se montant un véritable pool de collaborateurs talentueux où l’on retrouve les batteurs Pierre Fortin, Robbie Kuster et Jocelyn Tellier. «Au début, je savais pas de quoi le line-up aurait l’air, mais je savais que je voulais plusieurs personnes sur le disque. J’ai donc fait des trios pour l’enregistrement, selon les forces des gars… et pour le trip de jammer avec eux, aussi!»

Vivre du rock?

En février dernier, l’annonce du départ de Fortin de l’étiquette chouchou C4 faisait grand bruit. Des mois plus tard, le chanteur commente la décision en indiquant que «y a des choses qui se sont passées et qui m’ont amené à quitter le label». Agnus Dei a donc été produit en collaboration avec Simone Records et Grosse Boîte.

Comme le remue-ménage entourant le retour de Gros Mené en témoigne, les amateurs de rock québécois pur et dur étaient en manque d’accords tonitruants. «Faut dire que c’est difficile de vivre du rock au Québec», relativise Fortin en abordant la situation actuelle. «De plus, ce n’est pas nécessairement à la mode non plus ces jours-ci. C’est une affaire de vagues.» Heureusement, la relève du Mené serait déjà assurée. «Y a quand même d’autres bands qui en font et qui se donnent, comme Mardi Noir qui vient de sortir son disque, par exemple.»