Marianne Trudel Septet : Le beau risque
Musique

Marianne Trudel Septet : Le beau risque

Le Marianne Trudel Septet prend le beau risque de la singularité. Plaidoyer pour un jazz téméraire en compagnie de sa leader.

Que Marianne Trudel soit parvenue, contre contingences économiques et conflits d’horaires, à rameuter un septuor donne un assez bon indice de la belle tête de cochon que porte sur les épaules la pianiste montréalaise. Une belle tête de cochon qui tique – sans cependant déroger à sa contagieuse bonne humeur – lorsque le fieffé néophyte de journaliste lui fait remarquer que l’instrumentation de son groupe, comptant entre autres sur une voix et un cor français, revêt un caractère inusité dans un contexte jazz. «Je ne me considère pas comme une pianiste de jazz en tant que tel, je me suis toujours considérée comme une musicienne au sens large», lance-t-elle face à une étiquette trop petite pour encapsuler ses ambitions artistiques. «Ce qui est commun ou pas commun, usité ou inusité, m’importe assez peu. J’ai envie de suivre ce que j’entends, et là, il s’est adonné que j’entendais une voix et un cor [rires].»

Espoir et autres pouvoirs, le fruit de cette rencontre avec six musiciens, un des albums les plus célébrés de 2011, s’inscrit néanmoins dans une certaine filiation, souligne la musicienne, celle, par exemple, du compositeur légendaire Gil Evans, pour qui un désir de secouer les puces aux codes et une certaine témérité participaient de la nature d’un jazz refusant de crouler sous le poids de sa tradition. «Dans mon cœur, je fais du jazz, mais j’ai une définition différente de la majorité de ce qu’est le jazz, nuance-t-elle afin de préciser sa pensée. Quand les gens pensent jazz, ils pensent quartette avec saxophone, Charlie Parker, be-bop; ce qu’était le jazz dans les années 1940 et 1950. Pour moi, le jazz, ce n’est pas un style, c’est une musique qui doit sans cesse être renouvelée et qui implique une importante part de risque. Il y a une très grande  liberté dans chacune de mes compositions, je laisse beaucoup de place à mes musiciens [Anne Schaefer, chanteuse, Morgan Moore, contrebassiste, Lina Allemano, trompettiste, Jocelyn Veilleux, corniste, Richard Gagnon, tromboniste, et Robbie Kuster, batteur aperçu derrière Patrick Watson], ce qui fait que surviennent des moments magiques que personne n’a prévus. C’est une dimension très importante dans le jazz, mais que je ne retrouve plus souvent. Il y a une essence qui semble s’être perdue à cause d’un langage de plus en plus figé. Dans les années 1940, le jazz, c’était: trouve ton identité, trouve ton son, trouve ton langage personnel. Maintenant, on enseigne le jazz dans les écoles, ce qui n’est pas en soi une mauvaise chose, mais le résultat est forcément un peu formaté.»

La presque parité hommes-femmes régnant au sein de la formation, un fait rarissime, remarque une Trudel désolée, aura sans doute contribué à ouvrir ses pièces sur de nouvelles perspectives. «C’est vraiment le fun de mélanger les énergies, se réjouit-elle. Sans aller dans les gros clichés en disant que les hommes jouent de telle façon et les femmes de telle façon, il faut reconnaître que nous sommes différents, que nous avons des sensibilités distinctes qui nourrissent la musique différemment.»