Sarah Slean : Je voudrais voir la mer
Sarah Slean plonge en compagnie d’un orchestre à cordes dans les eaux existentielles de Sea. Échange avec une artiste pour qui la musique est une entreprise spirituelle.
Faire paraître un album double à une époque où vendre des disques simples tient déjà de la mission impossible requiert de son auteur un minimum de chien. Chien dont ne manque certainement pas Sarah Slean. Ce qui ne veut pas dire que la vétérane auteure-compositrice canadienne a nécessairement conçu Land & Sea (2011) comme un doigt d’honneur adressé à l’industrie de la musique. Jointe par courriel alors qu’elle parcourait l’Europe, la musicienne évoque des considérations plus mystiques que matérielles. «Les chansons qui me parviennent ont leur volonté propre. Beethoven a déjà dit à un violoniste qui se plaignait du niveau de complexité d’un de ses quatuors à cordes: “Est-ce que tu crois que je me soucie de ton damné violon quand les muses me rendent visite?” Je ne pourrais être plus d’accord.»
Les bienveillantes muses auront ainsi instillé dans l’esprit de Slean Land, un album aux sonorités classiquement pop-rock et aux considérations plus prosaïques (le petit prince de la powerpop canadienne Joel Plaskett en a assuré la réalisation), ainsi qu’un deuxième album, Sea, d’une teneur nettement plus spirituelle, reposant presque exclusivement sur un piano, des cordes et la voix élégiaque de madame. C’est d’ailleurs les chansons de Sea, et leurs cousines parues sur ses précédents disques, que la pianiste interprète lors de sa tournée actuelle en compagnie de sept musiciens, dont un quintette à cordes. «Pour moi, être une artiste est une entreprise spirituelle. Je crois qu’il y a deux sortes de musique, celle qui distrait simplement de la réalité, qui apaise à la rigueur, et celle qui te plonge encore plus profondément dans l’existence, qui te permet d’en éprouver la puissance en te submergeant. C’est celle-ci que je préfère. Je crois que c’est le rôle d’un artiste que d’attirer notre attention sur la splendeur de la vie, sur cette éclatante, angoissante et miraculeuse histoire, la nôtre, qui se déploie constamment. Les cordes sur l’album incarnent pour moi la mer [the sea], et la mer est le symbole parfait de ce vaste et incommensurable mystère dont nous faisons tous partie.»
Sarah Slean travaille ainsi derrière son piano à embrasser dans toute sa douloureuse et fascinante complexité l’expérience humaine, elle qui regarde la mort droit dans les yeux pendant Everything by the Gallon, confession d’une femme ayant choisi d’arracher le maximum au temps qui lui est dévolu. «Contempler l’inévitable fin de la vie est un exercice nécessaire pour moi. Refuser d’admettre notre propre dissolution, c’est renoncer à goûter à la douceur de l’existence, renoncer à l’étonnement total et constant d’être en vie. Je pense à la mort de manière abstraite très souvent, au fait que toutes les expériences subjectives dans lesquelles je suis constamment immergée – le flot de mes pensées, les émotions, les sensations – vont un jour cesser. Ne trouves-tu pas que cette conscience inonde le moment présent d’une certaine lumière?» Presque autant que ta musique, Sarah.