Pierre Lapointe : Le retour du prince
Pierre Lapointe canalise autant Saint-Exupéry que Machiavel sur Punkt, un album aussi pop qu’ambitieux.
Bien que quatre années séparent Punkt de Sentiments humains, le précédent disque de matériel original de Pierre Lapointe, l’interprète s’est tenu particulièrement occupé depuis 2009. Il y a eu, bien sûr, Seul au piano, le CD tiré du spectacle du même nom, ainsi que la trame sonore du Vendeur de Sébastien Pilote et Conte crépusculaire, spectacle-événement créé en compagnie de l’artiste visuel David Altmejd. Il y avait également Punkt, qui se ficelait au gré de recherches et de réflexions. «J’avais besoin de me ressourcer. J’avais l’impression que j’avais utilisé tout mon bagage d’inspiration», confie le chanteur en s’étendant sur ses multiples violons d’Ingres et pistes empruntées pour en venir à ce nouvel opus.
«Il n’y avait pas de plan de match, mais il y avait un point de départ», poursuit-il en pointant le documentaire Mutantès: Dans la tête de Pierre Lapointe où l’interprète y allait d’une conclusion délirante sur la culture pop. «J’avais une volonté de cristalliser cette forme d’esprit.» Lapointe est notamment revenu sur l’œuvre de l’artiste visuel Takashi Murakami et de ses confrères du superflat japonais, en plus de considérer le travail de Jeff Koons. «Leur volonté de synthétiser un certain inconscient populaire me travaillait. Je crois même qu’on a attaqué le visuel avant même que j’écrive des chansons pour le prochain disque», commentera-t-il. Tout comme Koons et Warhol, Lapointe a donc créé son art pop en poussant la collaboration d’un cran.
Lapointe et sa Factory
C’est donc entouré de ses collaborateurs Philippe Brault, Guido Del Fabbro (réalisation et arrangements) et Francis Beaulieu (prise de son et mixage) – sans compter l’armada de musiciens l’accompagnant, dont Philippe B, José Major, Albin de la Simone et Random Recipe – que Lapointe a créé, étudié, puis trituré chaque note de Punkt. «S’il y a quelque chose que j’ai vraiment mis en pratique sur ce disque-là, c’est la réflexion, glisse-t-il. On a pris chacune des pièces, on les a “détachées” de l’album puis on s’est posé la question: “Qu’est-ce qu’il faudrait à cette pièce pour qu’elle atteigne son plein potentiel?” On évaluait leurs qualités, leurs défauts, les directions qu’elles pourraient prendre. Chaque détail a été observé, discuté puis viré de bord!»
Pop cinématographique
Au-delà de son côté hyper calculateur, voire machiavélique, Punkt veut aussi redorer le blason de la pop québécoise, selon son créateur. «Je trouve que la chanson s’est assagie depuis quelques années… à un tel point qu’elle en est devenue plate, s’inquiète Lapointe. Je ne veux pas chialer, ni généraliser, mais elle s’est quand même aseptisée, alors que le cinéma, la littérature, le théâtre et la danse contemporaine ont continué à évoluer dans une certaine liberté et non-censure par rapport aux images fortes. La chanson, elle, s’est assagie.»
Ainsi, pour relever le quatrième art d’un cran, le chanteur a emprunté les stratagèmes du septième. La ballade Nu devant moi en témoigne tout particulièrement, alors que Lapointe «cadre» un texte aussi beau que sulfureux par une interprétation veloutée et des arrangements somptueux. «Ça ajoute une certaine classe à cette image que certains pourraient considérer comme vulgaire», résume-t-il avant de clamer que «la chanson mérite d’être placée au même niveau que le cinéma. Quand se scandalise-t-on devant une scène de sexe au cinéma? Ça n’arrive plus. Il y a une mise en situation, il y a une façon d’éclairer, de cadrer, de tourner et de monter la scène. Tout ça est super subjectif. Et en musique, on a les mêmes possibilités!»
Dessine-moi un objet étrange…
Au-delà des prétentions pop de Lapointe, demeure une poésie toujours aussi riche, tantôt bon enfant, voire saint-exupéryenne, tantôt absconse et imagée. Bref, Punkt est un album transpirant la luxure, mais également la chanson française… à une différence près. «Ce qui est peut-être nouveau – en fait, je le fais depuis le début de ma carrière, mais là c’est peut-être plus vrai qu’avant –, c’est que j’entremêle des éléments qui ne vont pas nécessairement ensemble et qui finissent par créer un amalgame étrangement harmonieux même si, au départ, il ne devrait pas l’être du tout», raconte-t-il, amusé, en reprenant Nu devant moi à titre d’exemple.
«La mélodie est clairement inspirée de ce que Michel Berger ou Véronique Sanson pouvaient faire dans les années 1970.» Heureusement, les arrangements recherchés par Lapointe et Del Fabbro transformeront une musique qui pourrait s’avérer kitsch dans d’autres mains en un ovni bien de son temps – Pierre mentionnera une référence au compositeur contemporain Matthew Herbert – doublé d’un texte amer et délicieusement cru. «Ça donne un objet étrange, mais qui, en même temps, n’est pas totalement déstabilisant, car on a constamment la possibilité de se rattacher à des références. Chacune des chansons de l’album joue dans cette zone grise où on n’est pas confortable, mais pas inconfortable, ni dégoûté non plus, en plus d’être amusé!»
De l’importance du moment présent
En attendant de considérer la forme que Punkt, la tournée, prendra («On a beaucoup réfléchi au disque, mais on ne l’a pas encore assimilé. On doit donc prendre du recul et c’est pourquoi on déplace les spectacles en septembre», tranchera d’ailleurs le chanteur), Pierre Lapointe annonce un spectacle de lancement aussi relevé qu’éphémère (une seule représentation, un accompagnement composé de 40 musiciens et choristes!). Outre un plaisir évident sur les planches, l’artiste dit pousser l’audace également «en réaction à l’époque où l’on vit. On ne vit plus le “moment présent”, car on filme et on pose tout, même si on ne conservera pas nécessairement tout par la suite», déplore-t-il avant de cibler le récent concert de Philippe B, Avec pas d’casque et le Quatuor Molinari à l’église Saint-Jean-Baptiste comme un moment à «vivre», justement. «Et c’est notre mandat à nous, les artistes, de contrer les mouvances générales. Pour plusieurs, un show de musique, ça demeure des musiciens sur une scène, pis c’est ça. Peut-être parce que les artistes n’osent pas, n’ont pas les moyens ou parce qu’ils n’en ont pas envie, je ne saurais dire.» Puis Lapointe de s’esclaffer: «En fait, ça fait même mon affaire, car ça me permet d’avoir ma propre carte de visite!»
Punkt est en prévente dès maintenant sur audiogram.com.L’album arrivera dans les bacs le 26 février ainsi que sur iTunes en version de luxe (comprenant quatre interludes et trois chansons supplémentaires).Lancement le même soir au Théâtre Maisonneuve dans le cadre de Montréal en lumière.