Leif Vollebekk : Entre Dylan et Kerouac
Quelque part à la croisée de la route 66 et du 49e parallèle, on retrouve North Americana de Leif Vollebekk.
Des années et des kilomètres après le dévoilement de son premier album, Inland, l’auteur-compositeur-interprète folk montréalais – qui aura trimballé son disque autant au Québec qu’au Canada et aux États-Unis, notamment – se dit «ailleurs», désormais. «Dans ma tête, ces albums-là sont aux opposés, tout en demeurant proches de moi. Disons que l’un a été écrit de la main droite et l’autre, de la main gauche!» confie-t-il avant d’y aller d’un rire gêné.
Loin de répudier son premier jalon, le cowboy glisse que l’héritage d’Inland faisait craquer les planches tant il pouvait être lourd par moments. «Le premier album, j’ai eu du mal à le jouer en spectacle parce que tel qu’il a été écrit, il fallait que je me fie constamment à mes émotions. J’écrivais un truc sous le coup de l’émotion, puis quand venait le temps de l’interpréter, je devais me replonger là-dedans et faire remonter la même émotion, sinon j’avais du mal à le chanter. Je n’irai pas jusqu’à dire que c’était malhonnête, mais c’était difficile parce que je devais redevenir la personne que j’étais à l’époque de l’écriture.» D’où North Americana, une œuvre qui tient davantage de la prose, voire du road movie, que de la chanson qui émotionne avec grandiloquence.
Capote, Hemingway et les autres
«Yeah, yeah. Ce n’était pas l’intention, mais tu n’es pas la première personne à m’en parler et je suis d’accord!» s’exclame le chanteur lorsqu’on aborde l’aspect très cinématographique de North Americana, CD jonché de panoramas de vieilles stations-service désuètes (Off the Main Drag) et de chambres d’hôtel tristes comme leurs amants esseulés (At the End of the Line). «Ça se produit souvent. J’arrive dans une nouvelle ville et elle devient rapidement mon nouveau point de mire. Elle m’inspire tout plein d’idées pour une histoire ou une chanson», explique l’auteur, revenant sur son sens du détail. Un souci inspiré par sa lecture des plus grands, ainsi que – folk oblige! – par une fille. «À l’époque, mon ex m’a prêté des livres de Hemingway. Moi, de mon côté, je lisais du Truman Capote. Je crois que le mélange a fait en sorte que lorsque j’ai commencé à écrire l’album, ça sonnait comme du Kerouac… un peu trop même!» tranche-t-il en ponctuant, une nouvelle fois, son propos d’un rire gêné.
Si ça fonctionne pour Bob…
En avril 1963, on lançait The Freewheelin’ Bob Dylan, œuvre-culte issue d’une création de longue haleine des deux côtés de la mare qui allait consacrer «the voice of a generation». Cinquante ans plus tard, Vollebekk imite le procédé haletant de Dylan bien malgré lui… ou si peu. À l’écoute d’une première séance d’enregistrement captée à Montréal, le chanteur s’est dit déçu et reprit North Americana, au compte-gouttes, à l’ombre du mont Royal, à New York ainsi qu’en France. «Il y a maintenant une énergie nouvelle qui parcourt le son de l’album d’une toune à l’autre, et je trouve ça intéressant», conclut-il, maintenant plus confiant qu’hilare. «Bref, ce n’était pas fait exprès, mais je suis content que ça n’ait pas marché la première fois!»
Communauté distincte
Interviewé au moment où le Forum sur la chanson québécoise se tenait à Montréal – où il a bien évidemment été question de la chanson de langue française, mais aussi anglaise –, Leif Vollebekk s’est avoué embêté lorsqu’invité à s’étendre sur ce qui distingue le fameux «Montreal sound», étiquette qui lui colle à la peau et qu’il partage avec les Patrick Watson, Karkwa et compagnie. «Y en a un, I guess. Mais lequel?» muse-t-il en abordant ce son si élusif.
Pour le chanteur, ce qui caractérise la création locale n’est donc pas linguistique, mais bien communautaire. «Au cours des derniers mois, j’ai travaillé avec plusieurs personnes. Certains étaient francos, d’autres étaient anglos», fait-il valoir en revenant sur la production de son album – en compagnie de partenaires de choix, dont le guitariste émérite Joe Grass ainsi que la violoniste Sarah Neufeld (artiste solo et membre d’Arcade Fire) –, en plus de commenter sa participation aux projets de Laurence Hélie et de Julien Sagot. «Que ce soit en français ou en anglais, on arrive toujours à se comprendre. Tout ce que je sais, c’est que tout le monde collabore avec tout le monde. Ils veulent juste jouer de la musique sans prétention! Je crois qu’on s’en fiche un peu si c’est en français ou en anglais. On veut juste jouer!»
North Americana
(Outside Music)