Kellylee Evans : Les nouveaux standards
Sur son nouvel album I Remember When, la princesse du jazz canadien Kellylee Evans lève le voile sur sa collection de disques. Et celle-ci ne contient pas que des clichés en noir et blanc, mais aussi plusieurs thugs et gangstas aux bijoux dorés et disques platine.
«J’ai grandi avec la musique populaire. Avec des artistes comme Blondie, Michael Jackson et bien d’autres. Le jazz n’est arrivé que bien plus tard», explique d’emblée la chanteuse ottavienne Kellylee Evans dans un français charmant – «Je m’excuse si je fais des erreurs, j’essaie d’apprendre, mais je manque de pratique», s’empresse-t-elle d’affirmer en début d’entrevue –, elle qui est sur le point de lancer un nouvel album, I Remember When. Un disque qui la voit on ne peut plus contemporaine, pop et en pleine possession de ses moyens, et surtout, à quelques lieues du jazz vocal de ses débuts sur Fight or Flight? en 2006.
Opus qui, par sa sélection musicale plus pop, vient ancrer le chant suave et sensuel de son interprète dans les souvenirs reliés à l’adolescence. Ainsi, on s’inspire avec grand plaisir de titres improbables comme My Name Is et Stan, chansons-clés du Marshall Matters lui-même, Eminem. «My Name Is, ç’a été vraiment difficile à interpréter, se remémore la chanteuse en riant. Même dans les arrangements, il a fallu tout repenser. Comme la livraison d’Eminem se fait sur une seule note la plupart du temps, il a fallu que je développe une mélodie qui colle à la chanson et aux arrangements. Ç’a été vraiment plaisant, mais difficile.»
Un tel procédé créatif donne lieu à une pièce aux arrangements quasi yéyés, déployant un saxophone baryton bouillonnant, une contrebasse aux mains baladeuses, le tout permettant à la chanteuse de s’approprier avec poigne le classique d’Eminem. «J’ai toujours été intriguée par ce que faisait Eminem. J’ai toujours vraiment apprécié son flow et ses paroles.»
Qui aurait cru qu’un jour, Kellylee, la chanteuse jazz, celle-là même qui a remporté un Juno pour le meilleur album jazz avec Nina, son sublime hommage à la dame Simone, tirerait sa sève créatrice des rues crades de Detroit?
De surprise en surprise
Entreprise en 2010, alors qu’Evans était en tournée dans l’Hexagone, la création de I Remember When a pris tout son sens lorsque la chanteuse a fait la rencontre de Sébastien Vidal, directeur d’antenne de la station française TSF Jazz. «On a tout de suite cliqué. Il m’a fait rencontrer le pianiste et réalisateur belge Éric Legnini lors d’un passage à New York. J’ai fait part de mes réflexions et de la direction dans laquelle je voulais aller.»
Il était clair pour elle que le moment était venu de miser sur l’amalgame de ces influences bigarrées. Celle qui se voit comme une artiste contemporaine avant tout affirme: «Je me perçois comme une artiste jazz qui a grandi avec la pop. Je me devais de faire quelque chose qui recoupe ces influences.»
Ainsi, I Remember When propose à la fois une poignée d’originaux inspirés notamment par Snoop Dog et A Tribe Called Quest, et des reprises judicieuses, dont le succès dance estival du Belge Stromae Alors on danse (qui porte ici le titre approprié And So We Dance), le modern classic Ordinary People du chanteur R&B John Legend, l’excellente Amazing de Kanye West – «Cette pièce me donne l’impression d’être invincible, intouchable. Un peu comme Kanye…», affirme-t-elle –, de même que la sublime If I Was Your Woman, popularisée par Gladys Knight. «Je l’adore, celle-là. C’est par Alicia Keys que je l’ai découverte et j’ai été tentée d’aller chercher sa version originale. Elle me fait vibrer. Quand je veux pleurer, c’est cette pièce-là que j’écoute.»
Le choc des courants
Quand on lui demande si elle craint la réception des gens qui l’auraient découverte par Nina, Kellylee rétorque: «À l’époque, Nina Simone faisait de la musique populaire. Quant à moi, à chaque album, je m’éloigne de plus en plus du jazz plus conventionnel et cela me plaît énormément. J’ai l’intime conviction que mes fans, ceux qui viennent voir ma musique, sont comme moi, ils ont une discographie tout aussi diversifiée. Il serait triste de penser que les puristes jazz n’écoutent que du jazz! Toutes ces influences font partie de moi et il est tout à fait normal que je veuille les exploiter. Je crois que cet album fera plaisir aux fans et me permettra de voyager encore plus. C’est mon souhait le plus cher: que ma musique me permette de faire le tour du monde.»
En attendant, c’est sur la scène de la Quatrième Salle du CNA que le lancement aura lieu. Et la principale intéressée affirme être on ne peut plus excitée à l’idée de dévoiler ces nouvelles pièces à son public. Elle conclut, le sourire dans la voix, animée: «La scène, c’est mon dada. J’adore. J’ADORE! C’est vraiment indescriptible. Et je devrais, oui, chanter nu-pieds (rires).»