Marie-Jo Thério : Déconcertante échevelée
Alors qu’elle planche toujours sur l’ambitieuse adaptation scénique de son plus récent album Chasing Lydie, Marie-Jo Thério renoue avec la simplicité des ivoires et des noires dénudées pour une courte tournée piano-voix annoncée en toute discrétion et présentée sur la pointe des pieds. Discussion échevelée avec une chanteuse qui l’est tout autant.
Voir: Comment abordez-vous ce spectacle piano-voix, une formule que vous n’avez pas épousée depuis près de vingt ans?
Marie-Jo Thério: «C’est un peu un tango. Le piano-voix permet de présenter au public des choses déconcertantes en se disant: "O.K., ça va prendre un petit peu de temps pour les convaincre de venir me retrouver dans cet espace auquel ils ne sont pas habitués, mais on va y aller". Puis en même temps, il y a cet autre espace vers lequel ce sont eux qui vont tirer en réclamant quelque chose de plus familier. Le public aime la proximité que suppose le piano-voix et aime savoir que je suis encore vivante, j’imagine (rires). Puis, pour moi, c’est vraiment de soir en soir une occasion de faire confiance au moment présent.»
Découvrez-vous sous un nouveau jour vos classiques comme Café Robinson ou Évangéline quand vous les revisitez?
«Oui, à chaque fois. Je suis, bien sûr, en selle sur un cheval que je connais un peu, mais aucun spectacle n’est le même voyage. Jamais, jamais, jamais. Ce n’est jamais la même aventure. Sinon, ce serait la mort. Il faut qu’il y ait la possibilité pour une chanson de s’inscrire dans l’immédiat. Qu’une plume ou une poussière tombe à un certain moment dans une certaine salle, que telle personne soit assise à l’avant, tout ça peut agir sur la manière dont une chanson sera chantée. Ça ne swingue jamais de la même manière.»
Vous évoquiez ces choses déconcertantes que vous voulez faire goûter au public. Pensiez-vous aux chansons de votre plus récent album Chasing Lydie (2011), un docufiction, d’abord lancé sur vinyle, inspiré de la vie américaine de votre arrière-grand-tante chanteuse Lydie Lee?
«Même les gens dans mon entourage ne s’en souviennent pas trop, mais mon premier album, Comme de la musique (1995), comportait plusieurs audaces. La maline (2000) aussi, même si on ne s’en rend plus tellement compte aujourd’hui à cause du bel accueil qu’il a connu. Chaque fois, je veux être un tout petit peu déconcertante, ne serait-ce que pour moi. Ma carrière s’est pas mal toujours déroulée de cette manière. Je n’ai jamais eu de rock’n’roll dream. Quand j’ai commencé à faire ça à 17 ans, ce n’était pas pour devenir Céline Dion, c’était pour être une espèce d’aventurière, c’était ma manière d’aller à la rencontre des gens, sans doute la manière la moins farouche que j’avais trouvée à ce moment-là.»
La chanson québécoise est littéralement prise d’assaut par une déferlante de jeunes auteures-compositrices-interprètes, chez qui on reconnaît votre influence. Sauriez-vous expliquer l’assurance et l’aplomb qu’elles affichent?
«J’ai rencontré récemment des filles comme Klô Pelgag et Sarah Toussaint-Léveillé. Ce sont de belles petites bibittes. Ce sont des filles qui ont pris le temps de s’inventer. Même chose pour Lisa LeBlanc. Elle était déjà une petite superstar en Acadie et avait déjà beaucoup d’expérience avant d’arriver sous les projecteurs. Elle savait qui elle était, dans la mesure où c’est possible à un si jeune âge.»
Vous avez l’impression que certains jeunes artistes sont propulsés trop rapidement sous la lumière crue des médias?
«Il faut prendre le temps de se construire au moins un tout petit peu. On est tellement dans une ère du visuel, à partir du moment où tu es fin, gentil et intelligent, que tu peux faire quelques belles chansons, on s’intéresse à toi, on t’offre un contrat de disques. Mais tu n’as pas le temps de boire ton petit lait. Il va bien falloir que tôt ou tard tu te rattrapes, que tu te fasses une culture. Il faut un minimum de racines pour qu’une plante pousse longtemps.»