Marc Déry : Chansonnier
Musique

Marc Déry : Chansonnier

Marc Déry pose ses guitares sur la scène du P’tit Bonheur de Saint-Camille pour Libre, un premier spectacle solo lui permettant de renouer avec son passé méconnu de chansonnier.

Gars de gang devant l’Éternel et par-delà la dissolution de la formation Zébulon grâce à laquelle il a décroché une job steady d’auteur-compositeur-interprète (dans la mesure où une telle chose existe) il y a près d’une vingtaine d’années, Marc Déry avait toujours mangé de l’asphalte uniquement en compagnie de ses fidèles amis-musiciens. Jusqu’à ce que la nécessité d’une réelle réinvention impose une tournée du Québec en solo baptisée Libre, que présente le chanteur ces mois-ci dans l’intimité de petites salles qui ne pourraient soutenir tout l’attirail que trimballe un groupe complet. «À 17 ans, se rappelle Déry, je faisais du chansonnier, je me promenais avec ma guitare de petite boîte à chansons en taverne. C’est comme ça que j’ai commencé, en animant des tavernes de gars de bécyk, en jouant du Paul Piché, du Harmonium, du Offenbach, du Led Zeppelin. Je suis revenu à ça parce que je ne savais plus quoi imaginer de neuf. Repartir en tournée avec les mêmes musiciens? Ça n’aurait surpris personne et j’ai besoin moi-même de me surprendre. J’en profite pour me raconter, me dévoiler au public. Je ne me suis jamais vraiment présenté, les gens ne me connaissent pas tellement.»

Avec son premier album solo sur lequel soufflaient en 1999 les grisants effluves du trip-hop venu de Bristol, Marc Déry mettait la chanson québécoise au diapason d’une époque où échantillonnages, boucles et bidouillages électro s’infiltraient dans les interstices de la pop de création partout sur la boule. Un disque annonciateur de l’air du temps qu’allaient ensuite respirer Dumas, Ariane Moffatt et Daniel Bélanger. «C’était le début des studios personnels, on pouvait enregistrer dans notre salon. J’écoutais pas mal Beck, ce gars-là m’inspirait. Alain Quirion [batteur de Zébulon et principal collaborateur de cet album homonyme] et moi, on s’amusait beaucoup avec les échantillonneurs. On voulait faire quelque chose d’ambiant. Je tripais trip-hop, bien sûr, mais j’aimais aussi le mouvement rap qui était venu avant. J’ai beaucoup écouté les Beastie Boys. C’était de la vraie musique nouvelle pour moi, contrairement au grunge, par exemple, dans lequel j’entendais du hard rock.»

Parolier sous-estimé, Marc Déry a toujours su se démarquer de ses contemporains obnubilés par les aléas du cœur en embrassant, au confluent de préoccupations humanistes et d’observations quotidiennes, des sujets en apparence saugrenus. Combien d’autres chanteurs québécois ont aussi languidement énuméré les désagréments de la canicule tout en évoquant les doux souvenirs qu’elle fait remonter à la surface (Y fait chaud)? Combien d’autres chanteurs québécois ont aussi bien décrit la nécessité des voyages de pêche en solitaire (Poisson d’avril)? Combien d’autres chanteurs québécois ont démontré une aussi grande maîtrise du petit catéchisme Beatles en relayant le discours d’un mendiant (20 piastres)? «Pour 20 piastres, se souvient Déry, j’ai commencé par quelque chose de très preacher [il en récite les premières lignes]: "Et les gens d’une même planète / Devraient s’aimer, devraient se mettre / Tous ensemble à la fenêtre / Et voir qu’ils ont la même tête / Et devraient se traiter comme tel." Je pense que je venais de fumer un joint dans le parc. Cet après-midi-là, je voyais tout le monde heureux, j’étais rempli d’amour. Mais je ne voulais pas faire une toune preacher. Je cherchais quelque chose pour faire contrepoids. En revenant du parc, je marchais sur Sainte-Catherine et un gars m’a dit: "Hey, t’aurais pas ça sur toé, 20 piastres?" C’était exactement le nombre de pieds qu’il me manquait pour mon refrain. Je l’ai regardé, je lui ai dit: "Man, tu viens de faire ma journée!" et je lui ai donné 20 piastres. Il y a des affaires de même qui arrivent.»

Et c’est ainsi que les meilleurs morceaux se fraient parfois bizarrement un chemin jusqu’à l’esprit de leurs créateurs, sans annoncer qu’ils atteindront un jour, comme une certaine Marie-Louise, le statut d’incontournable des soirées chansonniers, rejoignant par le fait même les Heureux d’un printemps et autres Le vieux du bas du fleuve dans le cartable de ceux qui, à l’instar de Marc Déry il y a plus d’une trentaine d’années, désennuient aujourd’hui les buveurs dans les bistros de la province. «J’ai toujours un plaisir fou à jouer ça, assure-t-il. C’est une toune qu’on a commencée en joke dans un local de pratique. Alain n’avait pas fini de monter son drum, c’est pour ça qu’au début, il ne joue pas. J’ai chanté en marmonnant quelque chose d’un peu russo-hongrois et j’ai crié à la fin Marie-Louise!”, du nom d’une de nos voisines à Mascouche. On a ensuite écrit les vraies paroles très rapidement.»

«Une fois, on est rentrés, les quatre Zébulon ensemble, dans un bar chansonnier. Tout le monde était debout et chantait à tue-tête Marie-Louise et pas un chat ne nous a reconnus. C’est là qu’on s’est rendu compte que la toune nous avait vraiment dépassés», conclut Déry, autant amusé que fier.