Chelsea Light Moving / FIMAV : Le trip de Thurston
Musique

Chelsea Light Moving / FIMAV : Le trip de Thurston

Thurston Moore réveille avec sa guitare électrique les fantômes de ses poètes fétiches sous la bannière Chelsea Light Moving, son nouveau déversoir de riffs abrasifs. À l’aube du passage du groupe au Festival international de musique actuelle de Victoriaville, le légendaire grand échalas du rock indépendant se rappelle sa première Stratocaster et raconte sa grande passion pour la poésie.

La nouvelle tombait sans avertissement en octobre 2011, parce que c’est ainsi que la plate réalité reprend ses droits, sur ceux qui trouvaient encore le courage de croire à l’amour-pour-toujours: Kim Gordon et Thurston Moore, rarissime incarnation de l’idéal d’un couple résistant avec panache et sans compromis à l’usure du temps, empruntaient chacun des routes différentes après 27 ans de mariage et de larsen à s’en arracher les tympans. Sonic Youth, cœur battant du rock indépendant qui aura redéfini pendant trois décennies les contours de la musique de guitares, faisait les frais de ce surprenant divorce (le temps d’un hiatus d’une durée indéterminée, du moins), laissant Moore sans occasion régulière de brancher sa six cordes électrique. Entre en scène Chelsea Light Moving, le nouveau groupe du grand échalas, complété par Samara Lubelski (basse électrique, violon), John Moloney (batterie) et Keith Wood (guitare électrique).

«Je me suis lassé de la guitare acoustique», confie le prolixe quinqua, lors d’un rare entretien téléphonique, en évoquant cet instrument qui a été la pierre angulaire de ses plus récents albums solos (dont Demolished Thoughts, réalisé par Beck). «Je m’ennuyais de la guitare électrique dont je n’avais pas joué depuis Sonic Youth. Comme je voulais me soustraire à la lumière de mon propre nom, j’ai décidé de baptiser la formation, même si, contrairement à Sonic Youth qui était très démocratique, c’est moi qui prends toutes les décisions ici, ce sont des musiciens que j’engage. J’aime l’idée de quelque chose de plus anonyme. S’il ne s’agissait que de moi, je pourrais changer le nom du groupe à chaque parution, mais ça déplairait sans doute à la maison de disques.»

Avec son premier album homonyme lancé en mars dernier, Chelsea Light Moving flirte avec le métal et le hardcore en mettant le feu à des riffs traversés par une palpable fougue, les plus féroces que Moore ait sculptés depuis un bail. «Avec ce groupe, nous entrons en studio, nous nous branchons et nous jouons, explique-t-il. C’est rapide et immédiat, alors que Sonic Youth préconisait un processus d’écriture plus raffiné et élaboré. L’album me rappelle l’époque où, à 13 ou 14 ans, je branchais la Fender Stratocaster de mon frère dans la chaîne stéréo familiale. Je voulais jouer de la guitare, mais je ne savais pas comment. Mon frère se mettait en colère parce que je désaccordais sa guitare ou je brisais des cordes. Avant de partir au travail, il verrouillait sa guitare avec un cadenas et une chaîne. Je pouvais passer des heures à dénouer un des liens de la chaîne puis à remettre le lien en place pour ne pas qu’il s’en rende compte. C’est mon frère qui m’a finalement donné ma première guitare quand je suis déménagé à New York, une Stratocaster volée que je me suis à mon tour fait voler dans un appart du Lower East Side. Je me suis mis à partir de ce moment-là à acheter des guitares pourries chez des prêteurs sur gages. Je me suis appris à jouer sur ces guitares, j’ai développé mon propre langage.»

Junkie (de poésie)

Survolé par les spectres de plusieurs poètes phares des années 1960, le premier album de Chelsea Light Moving inaugure un genre musical jusqu’ici inconnu, le Burroughs rock (en hommage à William S. Burroughs, figure de proue de la beat generation et écrivain par excellence du délire lysergique), s’il faut en croire un communiqué émis par le groupe lors de sa fondation. Grand lecteur de poésie – «J’aspirais à devenir poète et à m’inscrire dans la lignée des Allen Ginsberg quand je suis arrivé à New York. Mais la poésie ne paie pas aussi bien les factures que jouer dans un groupe. En fait, jouer dans un groupe ne paie pas si bien les factures non plus» –, Moore reprend à son compte les étonnantes dernières paroles prononcées par Burroughs avant sa mort («Love? What is it? Most natural painkiller what there is.») dans une chanson du même nom (Burroughs) propulsée par un riff balourd. Mais l’auteur du Festin nu, que Sonic Youth a fréquenté en collaborant à son album de spoken word Dead City Radio, s’abrutissait-il lui-même les oreilles de rock? «Je lui ai déjà demandé ce qu’il écoutait et il m’a répondu qu’il écoutait de tout, du jazz, du classique, du rock. J’imagine quand même difficilement Burroughs mettre un album de Blondie, mais on ne sait jamais», blague Moore avant de raconter l’anecdote suivante, sur le ton de l’ado qui vient de croiser son idole.

«Je me souviens d’un concert de Patti Smith au CBGB [lieu de naissance du punk] dans les années 1970. La salle était archipleine et tout le monde attendait que Patti Smith monte sur scène. Tout d’un coup, des membres du personnel se sont mis à pousser les gens, plongeant la salle dans un véritable chaos. Ils transportaient une grande table qu’ils ont jetée en plein milieu de la place, juste devant la scène. Puis, ils y ont escorté William Burroughs et deux de ses amis. Je me rappellerai toujours avoir longuement observé cet homme d’un certain âge qui était venu voir Patti Smith parmi tous ces jeunes fous. Quand elle est montée sur scène, elle a joué directement pour lui. C’était Burroughs, son public, ce soir-là.»

Chelsea Light Moving

Le 17 mai à 22h

Au Colisée Desjardins de Victoriaville

FIMAV

Du 16 au 19 

maifimav.qc.ca