Daft Punk : Retour vers le futur
Musique

Daft Punk : Retour vers le futur

Avec Random Access Memories, Daft Punk souligne 20 ans de carrière en proposant quelque chose de différent… autrement. 

Un cottage du Chateau Marmont, Los Angeles. Guy-Manuel de Homem-Christo – en pantalon et t-shirt d’AC/DC – joue avec son paquet de cigarettes et va jusqu’à en faire tenir une en équilibre sur la table du salon. Bien conscient que sa réputation d’interviewé taciturne le précède, on devine «le robot au casque doré» alerte, redressant la tête vivement lors de certaines questions (on y reviendra). De son côté, Thomas Bangalter – le «robot au casque de scaphandre» – est tout aussi décontract en chemise déboutonnée et jean déchiré aux genoux. Allumé, il peine à demeurer assis sur le fauteuil tant il gesticule en abordant Random Access Memories, un nouvel album pour Daft Punk, certes, mais également un défi, voire un legs pour le duo.

Alors que bon nombre de ses congénères multiplient les parutions et les apparitions sur les réseaux sociaux pour poursuivre leur tournée et s’accrocher au zeitgeist, Daft Punk demeure, bien sûr, masqué, mais a réussi à enflammer la planète pop à l’aide d’une campagne promo annonçant un album qu’on n’attendait plus, où le secret était à l’honneur et – incroyable, mais vrai – où le Web a été relégué au second rang. «On essaie de faire les choses dans une tradition assez old school d’entertainment», explique Bangalter en faisant référence, notamment, au spot publicitaire diffusé une seule fois à SNL (véritable institution aux États-Unis), au panneau-réclame installé tout près de Coachella (festival où l’on a également projeté une vidéo dévoilant le fameux Get Lucky tout comme la liste des collaborateurs de l’œuvre) ou encore à la séance d’écoute – supervisée afin de limiter les fuites! – qui précédait l’entrevue et où une poignée de journalistes ont été invités aux prestigieux Studios Henson pour finalement entendre Random Access Memories.

«C’est intrigant à un moment où tout le monde partage toutes ses informations», ajoute-t-il avant de justifier que cette démarche n’est pas une réaction au phénomène, mais bien une continuation de «l’identité Daft Punk». «Voilà, ça fait partie du concept d’anonymat qu’on a et du fait que, dans les 20 ans de carrière qu’on a pu avoir jusqu’à maintenant, on a eu des moments d’immersion, comme ça, pour ensuite émerger avant de repartir en mode sous-marin!»

Faire dans l’idée

Malgré la mystique entourant les androïdes, Daft Punk demeure humain malgré tout. «C’est notre quatrième disque, mais on s’amuse à dire que c’est notre premier disque solo!», lance Thomas en rigolant. Guy-Manuel, lui, esquissera un (rare) sourire. Fruit d’une longue réflexion et de bon nombre d’expérimentations (d’où le titre de l’œuvre qui évoque la mémoire, évidemment, mais aussi «le grand nombre de démos et d’idées musicales chaotiques menant à sa création», pour reprendre les propos de Bangalter), Random Access Memories est «une invitation au voyage, à l’aventure» pour le mélomane, mais également pour la musique électronique. Si la descendance de Daft Punk ne crée que sur son laptop, le duo, lui, lorgne finalement les studios. «Ce n’est pas une critique de la direction prise par la musique électronique actuellement», se défend toutefois Thomas… avant de glisser «car celle-ci ne va dans aucune direction en ce moment. Elle demeure au même endroit d’une certaine façon. Elle a un certain caractère stagnant.»

Il ne faut cependant pas voir une quelconque revendication dans cette lettre d’amour au disco et à la Chicago house music, selon Thomas, mais bien un défi à relever. «Nous ne sommes pas dans la critique, mais bien dans l’idée d’essayer d’aller ailleurs, ailleurs peut-être dans le passé, le futur, ou encore d’inventer un nouveau présent pour proposer quelque chose qui soit à la fois “différent” – car on ne l’a jamais fait – et différent de ce qui se fait au moment présent. Et si nous sommes aussi excités aujourd’hui, c’est qu’on a l’impression que sur ce disque, il y a de la musique qui n’est pas formatée selon le point de vue de la musique environnante d’aujourd’hui. L’idée n’est pas de révolutionner la musique, mais bien de proposer quelque chose de différent à un moment donné.»

De l’importance de pousser le bouchon

«Pour prendre l’exemple d’un film, on tenait un peu les rôles de réalisateurs et de scénaristes du film et nos collaborateurs étaient nos interprètes», fait valoir Bangalter en revenant sur le recrutement des collaborateurs de l’œuvre. Transposé au septième art, R.A.M. serait Les aventures de Bill & Ted, car tout comme les musiciens de la comédie-culte, les deux compères se sont lancés dans un voyage dans le temps pour embrigader la crème des entertainers d’hier (la légende disco funk Nile Rodgers se prête au jeu, tout comme Giorgio Moroder, un grand nom de l’italo disco, et l’acteur et icône pop américaine Paul Williams) et d’aujourd’hui (en plus de Pharrell Williams, on peut entendre Julian Casablancas des Strokes; Chilly Gonzales est aussi du périple). «Selon les différentes situations, on improvisait un peu, on les dirigeait ou on réécrivait tous ensemble la “scène”. Il y avait à la fois une vision d’ensemble – la place des pièces sur le disque – et de la chanson telle qu’envisagée et écrite préalablement», explique Bangalter.

De Homem-Christo prendra finalement la parole, insistant sur l’aspect improvisé de l’œuvre qui a été jusqu’à s’imposer dans la sélection de certains invités. «Panda Bear, par exemple, sortait son nouvel album solo Tomboy il y a deux ans et il nous a contactés pour qu’on lui fasse un remix… et ça fait des années qu’on ne fait plus vraiment de remix. On trouvait que c’était plus créatif de lui proposer une collaboration, surtout que nous sommes très fans de ce qu’il fait avec Animal Collective ainsi que de sa carrière solo. On s’est donc dit que ce serait plus intéressant de pousser le bouchon plus loin et de carrément collaborer avec lui sur une pièce à nous!»

Dormez-vous?

Coïncidence, Random Access Memories est lancé l’année où les amis d’enfance Daft Punk fêteront leurs noces de porcelaine. Bien que les robots se disent satisfaits de l’œuvre livrée, un doute demeure…

Guy-Manuel de Homem-Christo: «Quand on avait 15, 16 ans et qu’on écoutait les Stones, déjà on n’écoutait plus vraiment ce qu’ils produisaient de récent à l’époque, car on préférait leurs premiers albums, mais eux étaient toujours là. Après Tattoo You ou Exile on Main Street, je trouvais que c’était…»

VOIR: «Édulcoré?»

Guy-Manuel de Homem-Christo: «Ouais, mais il y avait aussi moins d’impact que leurs premiers trucs. Ça a toujours été une hantise pour moi – et je crois que Thomas va comprendre ce que je veux dire: voir ces groupes, dont on a adoré les premiers albums, se “calmer” ou “s’embourgeoiser” tout en créant des disques moins excitants après 20 années de carrière, par exemple. Nous, nous sommes très contents du disque, de ce qu’on a mis sur cet album, mais je ne sais pas ce que ça va donner chez les gens. J’espère seulement que nous ne sommes pas endormis.»

À en juger par les premières réactions (ce mardi, Exclaim! filait une note parfaite au disque moins d’une heure après la diffusion d’une version pirate sur la Toile), tout porte à croire que Daft Punk est loin d’avoir livré une œuvre ronflante. Bien au contraire, en fait.

Random Access Memories

(Daft Life/Columbia)

Une partie des frais du voyage de presse a été offerte par Sony Music Entertainment