Ariane Moffatt : Elle voulait tout, elle a tout
Avant de ranger ses claviers pour une année sabbatique, Ariane Moffatt étrenne sur la scène du Théâtre Granada le spectacle – avec section de cuivres! – qu’elle présentera dans quelques semaines sur une des grandes scènes des FrancoFolies de Montréal. Entrevue avec une fille comblée.
Voir: Aussi curieux cela puisse-t-il paraître aux yeux des mordus de musique, des milliers de Québécois t’ont littéralement découverte cet automne dans ton rôle de coach à La voix. As-tu constaté un changement chez ton public lors de tes plus récents concerts?
Ariane Moffatt: «Le public est davantage au rendez-vous, oui. J’ai été un peu surprise qu’en ce qui concerne la vente d’albums, il n’y ait eu aucune incidence. Les gens adoptent une personnalité dans leur salon sans nécessairement acheter sa musique. En salle, ça a créé une proximité, une impression d’être en synergie, ça a donné une fin de tournée plus électrique.»
Hugues Sweeney, un des fondateurs de Bande à part, te nommait, lors d’une récente émission, parmi une liste d’artistes – Karkwa, Malajube, Les Cowboys fringants – ayant bénéficié de l’engouement pour les musiques dites émergentes au tournant du millénaire. Que reste-t-il de la chanteuse émergente en toi?
«J’ai toujours été à cheval sur les variétés et la pop de création, disons. Je veux demeurer en correspondance avec des artistes de l’émergence, je veux continuer à avoir un pied là-dedans, parce que ça m’alimente, je veux continuer à collaborer avec des artistes de l’underground. Il faut aussi dire qu’après quatre albums, j’ai encore l’impression de déstabiliser beaucoup: mon show, il est rock électro, ça déménage, il y a des moments très ouverts, il y a des jams, c’est très axé sur la musique.»
Quel regard jettes-tu sur la réception de MA, ton plus récent album avec lequel tu as fait de l’œil au Canada anglais et aux États-Unis?
«C’était une démarche d’abord artistique, mon album est bilingue parce que le quartier que j’habite l’est. Développer le marché anglo avec un album bilingue qui compte peu de singles potentiels, c’est difficile. Je suis allée donner quelques showcases à Toronto, au CMJ à New York, à South by Southwest à Austin. C’est un long parcours. Je regarde les trois gars de Half Moon Run qui font présentement des premières parties de grands groupes et qui dorment dans la même chambre d’hôtel après s’être séparé une poignée de dollars, et je me dis qu’il faut être dans une période de notre vie qui permet ça, qui permet d’être tout le temps sur la route pour réellement percer. J’aime tourner, mais je préférerais qu’une de mes tounes soit retenue pour une série télé et que ça explose. [Elle éclate de ce rire contagieux qui est le sien.]»
Ariane, il faut que je te dise que je m’inquiète. Tu es radieuse, ta blonde attend des jumeaux, tu viens de te voir décerner le prix Lutte contre l’homophobie 2013, tu sembles avoir «trouvé la lumière de ton sourire sincère», si tu me permets de paraphraser une de tes chansons (Sourire sincère). As-tu peur que ce bonheur s’interpose entre toi et le moteur de ta création qui semble avoir beaucoup carburé à la mélancolie?
«Pendant la vingtaine, les tourments et le spleen qui m’habitaient m’ont beaucoup nourrie. Alors, oui, il m’arrive de me questionner sur l’impact qu’aura sur mes chansons le fait d’être heureuse. La tranquillité d’une vie affective plus solide peut amener, je l’espère, une force qui me permettra de planer encore plus haut dans la fiction, dans l’écriture. Et je te jure que je ne me laisserai pas atteindre par un bonheur gaga. Je vais faire gaffe pour ne pas perdre la main sur les profondeurs de la création.»