Alexandre Belliard / Fête nationale : Cool prof Belliard
Un professeur qui troquerait la craie pour la guitare et le cours magistral pour des refrains à entonner? Ce coolissime idéal s’incarne grâce à Alexandre Belliard et son projet Légendes d’un peuple, deux disques de chansons sublimant l’histoire de la présence francophone en Amérique. Discussion avec le nouvel Estrien à l’approche de sa participation au spectacle de la Fête nationale à Sherbrooke.
Depuis sa campagne d’Ulverton, où il s’est récemment établi à l’ombre de la montagne avec femme et enfants, Alexandre Belliard jase sans ambages, avec la liberté du gars qui a trouvé son rôle et sa place. Tout juste de retour de Terre-Neuve où il présentait sur scène les deux premiers tomes de son projet Légendes d’un peuple, deux disques qui subliment en chansons l’histoire du Québec et la présence francophone en Amérique, le grand gaillard raconte un inspirant séjour chez ceux pour qui la vigilance s’est transformée en seconde nature. «Les Francophones de Terre-Neuve, ce sont des gens qui luttent tous les jours, qui se défendent dans des conditions impossibles, qui mènent des combats. J’ai entendu là-bas une petite fille de neuf ans lire un poème qu’elle avait écrit sur la francophonie. Elle disait à quel point c’était important pour elle de parler français. Elle refusait de voir le français s’enliser et disparaître. C’était assez impressionnant et c’est comme ça partout où je vais au Canada. Je pense qu’on a des leçons à tirer de ça au Québec. Ce n’est pas parce qu’on s’appelle le Québec et que présentement nous, francophones, sommes majoritaires que ce sera toujours le cas.»
Entre des mains moins habiles, cette idée saugrenue qu’est Légendes d’un peuple de gratter la guitare en chantant la vie de Papineau, de Beausoleil-Broussard ou de Paul Chomedey de Maisonneuve aurait franchement pu assommer ou, pire, verser dans l’autocongratulation folklorisante comme une série de Minutes du patrimoine à la sauce nationaliste. Ce qui n’est absolument pas le cas: Alexandre Belliard parvient avec les deux premiers jalons de sa série (un troisième est déjà prévu pour l’automne) à tirer de la droiture des Patriotes, de l’abnégation de Marie Rollet ou de la sagacité de René Lévesque de vrais beaux et bons refrains agissant chacun comme autant de chevaux de Troie sous lesquels se cache un petit cours d’histoire. «Le projet est né de ma nécessité de tout faire, de parler en même temps d’histoire, de politique, de littérature, de poésie, de rencontrer des gens, d’étudier. Étudier et lire, c’est un luxe que je m’offre maintenant tous les jours, ça vient nourrir mon travail», se réjouit celui qui est d’ailleurs retourné poser ses fesses sur les bancs d’une université avant de pondre le premier tome.
Après trois albums de folk rock qui n’ont pas forcément connu le succès qu’ils méritaient, trois albums essentiellement cousus dans le tissu de l’expérience personnelle — celui que reprisent presque tous les auteurs-compositeurs de sa génération — le rebelle sans cause trouvait enfin la sienne en effaçant son propre «je» derrière cette histoire avec un grand H pour mieux la diffuser, mission dont ont démissionné les médias de masse et, dans une certaine mesure, les programmes scolaires. «J’avais déjà écrit quelques chansons biographiques sur Denis Vanier [le plus maudit des poètes québécois], sur Rimbaud, sur Renaud et c’était souvent mes préférées, parce que quand je les jouais, les gens découvraient les personnages, ils me disaient: "Ah je suis allé acheter un livre de Vanier." C’est extraordinaire que d’utiliser le véhicule de la chanson pour essayer de mettre autre chose de l’avant, quoi. Je sors de moi-même avec ce projet-là.»
Loin du bête et aveugle exercice de célébration nationale, Légendes d’un peuple n’hésite pas à jeter une lumière crue sur certains des pans les plus malheureux de notre histoire. Pas question pour le barde de faire l’impasse par exemple sur le sort des Premières Nations, évoqué avec la monumentale poétesse innue Joséphine Bacon dans Je sais que tu sais (présente sur le premier tome paru en 2012). «On devrait encourager les jeunes autochtones à apprendre leurs langues pour qu’ils soient fiers de leur identité, plaide Belliard. On devrait prendre soin collectivement de cette diversité. Joséphine, j’en parle dans tous mes spectacles. Cette année, j’ai fait 120 spectacles dans des écoles, ça veut dire qu’au moins 120 classes ont entendu parler de Joséphine Bacon, ont entendu parler de l’horreur des pensionnats, ont entendu parler des réserves amérindiennes, des réalités que les jeunes ne connaissent pas nécessairement. Maintenant, quand leur papa va dire: "Les Amérindiens, ça ne paie pas de taxes, ce sont tous des alcooliques, ils ont tous des gros pick-up", ben ils vont peut-être répliquer: "Eille papa, ta yeule, t’as pas raison!"»
Tu sèmes la graine de la rébellion Alexandre?
«Je pense que c’est juste de la conscience. Mais si c’est de la rébellion contre la bêtise et l’ignorance, je n’ai rien contre.»
Alexandre Belliard participe au spectacle de la Fête nationale avec Émilie Lévesque, Valérie Lussier et Jacynthe Véronneau sous la direction musicale d’Étienne Chagnon le 23 mai à 20h au Parc Jacques-Cartier de Sherbrooke.