Ravi Coltrane : Nerd du saxophone
Héritier de deux légendes du jazz, Ravi Coltrane n’a pas pour autant la grosse tête. Humble et totalement zen, le saxophoniste demeure corps et âme préoccupé par la musique et la voie qu’elle trace.
Au téléphone, Ravi Coltrane s’exprime avec le calme olympien de ces artistes qui, conscients de leur propre valeur, n’ont jamais recours à l’esbroufe. Et pour cause: à 48 ans, l’ex-jeune loup du post-bop peut s’enorgueillir d’une carrière d’une vingtaine d’années au cours de laquelle il a dû cent fois sur le métier remettre l’ouvrage, sans bénéficier des passe-droits qu’aurait pu lui valoir son célèbre patronyme.
Accueilli par ses aînés davantage pour son propre talent que pour ses antécédents familiaux, Coltrane a trouvé sa voix sous la tutelle des Steve Coleman, Dave Liebman, Joe Lovano et autres figures de proue de la scène contemporaine. Plus un ami qu’un mentor, Lovano a justement réalisé le plus récent disque de Coltrane fils, Spirit Fiction, son sixième album et premier pour le label Blue Note. «Joe est un véritable géant, que j’ai eu la chance de côtoyer depuis les années 1990. J’ai suivi des cours avec lui, il m’a beaucoup appris sur la manière d’envisager la musique. On répétait ensemble, il s’installait parfois à la batterie, parfois on jouait en duo de saxos. Et à la mort de Michael Brecker, Dave Liebman et lui m’ont fait l’honneur de m’inviter à me joindre au groupe Saxophone Summit.»
Quand je lui demande quels artistes l’ont le plus marqué, le fils de John et Alice Coltrane ne nie pas l’influence majeure de son mythique père emporté par le cancer alors qu’il avait tout juste deux ans, ni celle de son frère aîné également saxophoniste, John Jr., au lendemain de la mort duquel Ravi, alors dans la vingtaine, a momentanément renoncé à la musique. Pour le musicien bientôt quinquagénaire, arrivé tardivement au jazz après s’être gavé de funk et de soul dans sa prime jeunesse, pas question de tenter de rejeter le legs précieux de son père, pas plus que ceux de Sonny Rollins, Charlie Parker, Joe Henderson, Wayne Shorter, Sonny Stitt, George Coleman. «Vous savez, je suis un nerd du saxophone. Et ces gars m’ont tous influencé, pas juste mon père. Je ne pourrais pas imaginer un monde où je devrais me priver de la musique de n’importe lequel de ces poètes, de ces dieux, de ces voix qui nous guident.»
Ravi Coltrane a enregistré Spirit Fiction à la tête de deux formations distinctes: un quintette réunissant de vieux complices de ses débuts (Geri Allen, Ralph Alessi, etc.) et son quartette habituel des dernières années. À Montréal, on le retrouvera cependant à la tête d’un tout nouveau combo avec qui il a récemment tenu l’affiche au Birdland de New York: «Il y a cet incroyable guitariste de mon âge, Adam Rogers, qui a longtemps joué avec Brecker, mais aussi deux jeunes cats assez redoutables, le batteur Jonathan Blake et le contrebassiste Dezron Douglas, avec qui je travaille depuis plus d’un an.»
Et si l’on se fie à la tradition familiale, on devine que le groupe proposera une musique qui déménage.
Montréal, un paradis du jazz? Voyez le webdocumentaire sur espace.mu.