Shawn Philipps : Pas malléable
Shawn Phillips renoue avec le public québécois, celui qui toute sa carrière durant l’a porté aux nues, pour une série de concerts en compagnie de The NexXx, un groupe de musiciens montréalais.
L’histoire tient presque du conte de fées: en 2010, le groupe The NexXx, une bande de talentueux musiciens du dimanche de Montréal, largue sur YouTube une vidéo tirée de sa reprise de Woman (ou de son vrai titre à pentures: She was waiting for her mother at the station in Torino and you know I love you baby but it’s getting too heavy to laugh), immortelle parmi les immortelles du Texan chouchou des Québécois Shawn Phillips. «La vidéo n’avait pas grand-chose à voir avec le texte de la chanson, mais leur version était vraiment loin d’être mauvaise, raconte avec son accent à couper au couteau celui qui lâche un « man » à toutes les deux phrases. Plutôt que de simplement leur écrire pour les remercier, je leur ai proposé de faire quelques spectacles avec moi. Je leur ai envoyé une liste de chansons trois mois à l’avance. Nous aurions pu jouer devant public le jour où je suis arrivé sans aucune gêne tellement ils sont bons.»
Titulaire d’un foisonnant catalogue — folk-rock, prog-rock, jazz — dont les principales pierres ont été posées au début de la décennie ’70 (les albums Contribution, Collaboration et Second Contribution), le rouquin de 70 balais enrichit ces jours-ci son cartable de plus de 380 chansons d’un nouveau disque double, «très rock’n’roll», Perspective, enregistré dans le sous-sol de sa maison en Afrique du Sud. Que pense celui qui, bien avant que la stratégie ne se transforme en tendance, demandait à ses fans de se vider les poches pour l’aider à payer ses frais de studio, des plateformes de financement collaboratif comme Kickstarter? «Je pense que ce n’est pas si mal, même si Kickstarter grappille forcément une partie de l’argent engrangé. Je pense que ces jours-ci, tout le monde et son chien veulent devenir musicien et c’est impossible. Devenir musicien prend des années et des années. Les compagnies de disques profitent de ça, elles choisissent des musiciens malléables. Les vrais musiciens, eux, ne sont pas malléables, on ne leur dit pas dans quelle direction aller.»
Lu-ci-di-di-té
En décembre dernier, Ravi Shankar passait de l’autre côté du grand miroir. C’est du maître du sitar lui-même que Shawn Phillips avait appris les rudiments du monumental instrument. La légende veut d’ailleurs que Phillips ait ensuite transmis quelques notions de base à George Harrison avant que le Beatle silencieux ne se rende en Inde. «La première fois que je l’ai rencontré à Toronto en 1963, Ravi Shankar m’a invité en arrière-scène. Je n’avais jamais vu un sitar de ma vie et il a passé trois heures et demie à me montrer comment m’asseoir derrière l’instrument, comment placer mes doigts, etc. Un vrai chic type. Je l’ai revu ensuite en 1968 à Paris. Il enregistrait les Quatre Saisons de Vivaldi avec un joueur de harpe de verre. C’était… quelque chose.»
Plus de quarante ans après les avoir identifiés comme pilier d’une vie bonne et épanouissante, le chanteur enjolive toujours les autographes qu’il signe de ses trois maîtres mots: health, love and clarity. «Ce sont les trois états les plus importants. Tu ne peux avoir aucune de ces trois choses si tu n’as pas l’autre. Si tu es pour souhaiter du bien à quelqu’un, il faut lui souhaiter de la santé, de l’amour et de la clarté, ou de la lucidité si tu préfères. Il ne faut pas être apathique man, il faut que tu aies conscience que ta manière d’être influence ce qui se passe autour de toi.»