Steve Hill / Sherblues & Folk : Cheval sauvage
Plus de 15 ans après la parution de son premier album, Steve Hill demeure à la fois la coqueluche des festivals de blues et un cheval sauvage qui conspue le confort. À l’approche de son passage sur la Grande scène extérieure de Sherblues & Folk, nous sommes allés siroter une bière sur une terrasse avec le guitariste.
Fin d’après-midi sur une terrasse bondée inondée d’un soleil de plomb. Caché derrière des verres fumés d’aviateur qui grugent la moitié de son visage, Steve Hill enchaîne les cigarettes, sirote une petite bière mexicaine et jase musique: de la plus récente visite de ces Stones dont il n’a manqué aucun concert dans la métropole depuis 1993 (son verdict: «Keith Richards en a perdu pas mal»), des disques sur lesquels il aime ces jours-ci planter l’aiguille de sa table-tournante (A Nod Is as Good as a Wink… to a Blind Horse des Faces, Boys & Girls d’Alabama Shakes), des musiciens qui ont brisé les chaînes qui le tenaient otage du blues (Brian Wilson des Beach Boys, entre autres). «J’aime ben des affaires dont les gens ne se douteraient pas», assure-t-il quand on lui raconte l’avoir croisé au Centre Bell il y a deux ans lors du concert d’adieu des grands-pères du heavy métal britannique Judas Priest. «J’écoute du vieux R’n’B des années 1960, j’ai eu des phases ben jazz, j’ai écouté beaucoup de prog quand j’étais jeune. Tu mets Close to the Edge de Yes et je tripe au boutte. Tu mets le premier Black Sabbath, je vais triper. Tu mets du Booker T. and the M.G.’s, je vais triper. Stravinski, je vais triper!»
Même s’il aura su conserver son statut de coqueluche des festivals de blues grâce à des performances durant lesquelles il ne se ménage pas, Hill se sera toujours tenu à distance d’une certaine manière d’envisager le blues, insistant pour faire valoir ses habiletés d’auteur-compositeur plutôt que de tartiner comme plusieurs musiciens de sa trempe sa virtuosité sur chacun des morceaux qu’il enregistre. Préconisant une trajectoire discographique en zigzag comprenant des incartades hard rock (Devil at My Heels, 2007) et des flirts avec la pop franco (Domino, 2002), le cheval sauvage n’aura jamais cessé de faire à sa tête. Qu’il ait attendu 2012 pour mettre en boîte un premier album en solitaire (Solo Recordings Volume 1) a en ce sens de quoi étonner, lui fait-on remarquer. «J’avais essayé des affaires solo avant, sans que ça débloque. Un jour, mon chum pusher de guitares est venu chez nous avec une Gibson ES-225 1956. Il m’a demandé de jouer un show solo à Drummondville en échange de la guitare et j’ai eu ben du fun. J’ai dit à mon agent: « Booke-moé d’autres dates comme ça »», explique-t-il.
Grâce à des ballades d’écorché vif sur lesquelles planent les fantômes du passé (Out of Phase), Solo recordings Volume 1 (qui connaîtra un Volume 2 cet automne) permet après six albums de constater que le guitariste sait jouer autrement que dans le tapis (on l’avait déjà un peu remarqué sur Whiplash Love en 2011) et qu’il n’est jamais aussi bon chanteur que lorsqu’il embrasse les caverneuses inflexions de sa voix d’outre-tombe. «Mes tounes les plus smooth sont souvent mes préférées. J’en écris plein des ballades, mais elles restent dans les tiroirs, parce que ce n’est pas ça que le monde veut m’entendre faire», rigole-t-il avant d’enchaîner plus sérieusement. «Ce que je reproche à un certain blues, c’est que les tounes ne sont que des excuses pour jouer des solos de guitare interminables. Ça, ça ne m’intéresse pas. Les bluesmen que j’écoute écrivent des vraies bonnes tounes, pas des solos. C’est ce que j’ai essayé de faire avec Solo recordings: sortir des sentiers battus. Il n’y a qu’un seul 12-bar blues sur l’album, mais c’est toute du blues pareil. Quand tu écoutes John Lee Hooker, tu te rends compte qu’il ne respectait pas la forme standard du 12-bar blues et quand tu recules encore plus loin avec Son House ou Charley Patton, tu te rends compte qu’eux non plus ne respectaient pas forcément le 12-bar blues.»
Après être monté seul avec sa grosse caisse, sa caisse claire, sa guitare et son harmonica sur scène plus d’une centaine de fois dans la dernière année, Steve Hill renoue pour un rare soir d’été avec ses musiciens à l’occasion de Sherblues & Folk. Ce sera blues, ce sera rock, ce sera quoi? «Je suis pas mal dans le blues ces temps-ci. On a pratiqué cette semaine et on a joué des chansons de tous mes albums. Selon la réaction de la foule, on va pouvoir aller d’un bord ou de l’autre. Je me laisse de la marge de manœuvre. De toute façon, tout ça vient de la même souche. The blues had a baby and they call it rock’n’roll, tsé.»
Le 5 juillet à 20h
Sur la Grande scène extérieure de Sherblues & Folk
À ne pas manquer pendant Sherblues & Folk
Avec désormais six jours de programmation, Sherblues & Folk est plus que jamais amanché pour plaire à tous. Parmi la foisonnante programmation, retenons dans la catégorie «pour toute la famille» le bluegrass indompté de Canailles (3 juillet à 20h à la Place de la Cité) et les rythmes chaloupés du fiston du pilier du blues malien Ali Farka Touré, Vieux Farka Touré (4 juillet à 20h sur la Grande scène extérieure). Côté bars et autres griseries pour adultes consentants, nous irons prendre un dernier verre en compagnie de la tornade blonde torontoise Melissa Bel (5 juillet à 23h au Tapageur), avec l’onirique guitariste français Nicolas Repac (6 juillet à 23h au Boquébière), ainsi qu’avec la voix rauque de Martin Goyette (6 juillet à 23h à la Petite Boîte Noire). Eddie Shaw & The Wolfgang, le groupe du saxophoniste et proche collaborateur de la regrettée sainteté du Chicago blues Howlin’ Wolf enjoindra les festivaliers à se brasser pour lui (Shake for me) le 7 juillet à 20h au Théâtre Granada. Du 2 au 7 juillet. sherblues.ca