Dossier grands événements internationaux / David Lemelin & Martin Roy : La part du gâteau
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Dossier grands événements internationaux / David Lemelin & Martin Roy : La part du gâteau

Depuis les célébrations du 400e de Québec, de grands événements ponctuels se déploient dans la ville et rencontrent un public enthousiaste qui se déplace d’un peu partout pour apercevoir la guitare de Paul ou la gueule de Johnny.

Après Paul McCartney (2008), Johnny Hallyday (2012), Roger Waters et The Wall (2012), Madonna (2012), voilà que Céline Dion et le retour de Paul McCartney viennent confirmer que Québec a le béguin pour les grandes stars internationales et les spectacles d’envergure. Martin Roy, directeur général du Regroupement des événements majeurs internationaux (RÉMI) et David Lemelin du parti Démocratie Québec, nous expliquent les enjeux de ce virage culturel qui, selon les commentaires amassés, se situe quelque part entre mythe et réalité.

D’entrée de jeu, il faut faire la différence entre les grands événements internationaux ponctuels (McCartney, Madonna et autres) et les grands événements internationaux récurrents (Festival d’été de Québec – où se produisait Hallyday, le Grand Rire, etc.). Les premiers ne font pas que des heureux, tandis que les seconds semblent faire l’unanimité.

D’un côté, le RÉMI s’assure de bien représenter ses membres (festivals et grands événements récurrents), de l’autre, Démocratie Québec souhaite tempérer les élans des grands événements ponctuels dont l’impact réel à l’international serait moindre que prévu. Au centre, les organisateurs d’une kyrielle de spectacles et rencontres à grand déploiement qui tentent de positionner Québec dans le cœur des touristes internationaux.

Québec sur l’échiquier international

«Il y a quand même une tradition bien établie à Québec de grands festivals et événements avec le Carnaval, le Festival d’été, le Grand Rire, les Fêtes de la Nouvelle-France, entre autres», lance d’emblée Martin Roy. «À ça s’ajoutent tous les événements programmés depuis 2008. Depuis les festivités du 400e de Québec, l’événementiel à Québec a connu un nouveau souffle. Et en dehors des festivals et événements traditionnels, se sont ajoutées bon nombre de choses, dont le Moulin à images, le Cirque du Soleil à l’extérieur, etc. Tout ça fait en sorte que Québec est devenu un pôle fort.» Un pôle qui attire également la clientèle internationale? Rien n’est moins sûr.

Alors que monsieur Roy voit d’un œil positif la multiplication des grands événements dans la région de la Vieille-Capitale, un article récent du chroniqueur Antoine Robitaille paru dans Le Devoir s’en prenait à l’obsession du «festif-événementiel» qui fait rage à Québec depuis 2008. Au coût de 39 millions, l’administration Labeaume a financé ce que les compagnies privées refusaient de faire, dans l’événementiel ponctuel. Des dépenses qui soulèvent l’indignation de son opposant, David Lemelin, chef de Démocratie Québec. «On a un maire qui met l’accent sur les grands événements comme si c’était un remède miracle à tous les grands maux, mais il ne faut pas faire croire que c’est une panacée. Surtout qu’on nous les vend comme si ça réussissait à attirer la clientèle internationale; mais c’est faux.»

En effet, en consultant le document Québec: Destination internationale 2020 – dont les données rassemblent autant des statistiques du rapport Mendel que de l’Office du tourisme de Québec –, on remarque que les touristes internationaux profitent plutôt des sites patrimoniaux, musées, parcs et nature, mais que les touristes québécois s’intéressent davantage à l’offre culturelle.

D’autres données du RÉMI confirment que certains touristes internationaux s’intéressent aux tournées de leurs artistes favoris et n’hésitent pas à sauter dans l’avion pour les suivre: «On considère que les événements sont des produits d’appel de la destination touristique québécoise. C’est sûr qu’on a les grands espaces et le reste, mais on observe aussi un phénomène mondial qui est le tourisme urbain. Quand Rammstein est venu sur les plaines en 2010, on a vu, avec les codes postaux des acheteurs, que les gens venaient de Los Angeles. C’était le seul spectacle du groupe en Amérique du Nord cet été-là.» Et le concert se donnait dans le cadre du Festival d’été de Québec.

David Lemelin abonde en partie dans le même sens, mais tempère les propos du RÉMI en rappelant l’importance de la récurrence: «On voit toujours les grands événements comme des événements internationaux. Mais à Québec, il y a aussi les événements récurrents, les Fêtes de la Nouvelle-France, le Festival d’été, le Carnaval de Québec. Ce sont des événements qui sont forts et qui sont soutenus à plus ou moins grande échelle par la Ville. C’est convenable, mais c’est la diversité qui fait la richesse culturelle d’une ville et d’une région. Il faut aussi faire attention aux artistes locaux qui se développent, car ils deviennent aussi un produit d’exportation. C’est plus intéressant qu’un artiste international qui repart avec les profits faits avec lui.»

«Il y a toute la question du tourisme intra-Québec qu’il ne faut pas négliger, rappelle Martin Roy. Évidemment, notre discours est plus axé sur les touristes internationaux. On y croit et on pense que c’est là qu’on se démarque parce qu’on crée de la richesse. C’est un produit d’exportation parce qu’on attire des nouvelles devises et des gens, donc de l’argent neuf qui est injecté dans l’économie. En même temps, le tourisme intra-Québec est important. C’est quand même lui qui, proportionnellement, est le plus important au Québec dans les grands événements. Globalement, environ 80% des touristes québécois sont des touristes intra-Québec. Et c’est ce qui fait vivre les restaurants et les hôtels.»

Faire grossir la tarte

«Les festivals, malgré ce qu’on peut en penser, ne sont pas sursubventionnés, au contraire, assure Martin Roy. Pour les 25 événements du RÉMI en 2012 [NDLR: dont cinq dans la région de Québec], ça ne représente maintenant pas plus de 18%, tous paliers de gouvernements et institutions publiques confondus. Et cette baisse est due en partie au désengagement du gouvernement fédéral. Il nous faut donc des moyens pour faire compétition aux grands événements qui se déroulent dans le monde.»

«Je ne suis pas convaincu que les producteurs et artistes d’ici bénéficient des grands événements ponctuels, s’inquiète Lemelin. Ils en font peut-être même les frais. On les prive d’un marché naturel de consommateurs. On rend leur développement et leur survie difficiles. Ce n’est pas le positionnement international de la ville qui m’obsède, mais davantage la qualité et la diversité de l’offre culturelle à Québec. Si on ne mise que sur les grands événements, c’est un coup d’épée dans l’eau. C’est éphémère, il faut rebâtir. Mais si on décide d’investir sur les sites patrimoniaux, sur ce qui fait la distinction de Québec, non seulement ça va être rentable, mais on va avoir davantage de touristes internationaux, car c’est ce qu’ils veulent. Le positionnement, c’est l’fun, mais il faut que les artistes locaux et organismes culturels qui les soutiennent puissent aussi se développer et avoir de la visibilité.»

«De façon générale, il y a une grande solidarité entre les événements pour que la tarte grossisse et qu’ensuite, il y ait de plus grosses parts pour tout le monde», précise Martin Roy.

Un essoufflement à prévoir?

Si l’on ajoute un nouvel amphithéâtre dans le lot, qu’adviendra-t-il de cette offre culturelle ponctuelle? Madonna se produira-t-elle à nouveau sur les Plaines? McCartney attirera-t-il une foule aussi grandiose qu’en 2008 s’il le tente intra-muros? «Je me questionne quant à la capacité des grands spectacles à attirer davantage le public. On peut aussi se demander si les gens de Québec auront nécessairement plus d’argent pour les loisirs. Il n’y a aucune garantie, ce qui fait qu’on partagerait différemment la tarte.» S’il s’inquiète de l’impact d’un nouvel amphithéâtre sur les salles de spectacle à Québec, David Lemelin se fait aussi réaliste, rappelant que selon plusieurs articles – dont un daté du 10 juin 2013 du Journal de Québec – les spectacles de Paul McCartney et de Céline Dion ne feraient pas courir les foules. «Il y a un essoufflement certain. Il ne faut pas se leurrer. Nous sommes 750 000 personnes si on prend la grande région de Québec. Il faut une certaine prudence et un intérêt à diversifier l’offre, plutôt que miser uniquement sur les spectacles à grand déploiement ponctuels.»

Du côté de Martin Roy, on se fait plus rassurant, mais encore là, il s’agit de miser sur les grands événements internationaux récurrents. «De façon générale, oui, il y a encore de la croissance. Il y a des événements qui sont en forte progression, d’autres un peu moins, d’autres en période de consolidation, d’autres en renouvellement. Non, ce n’est pas un secteur qui s’essouffle, au contraire.»

Québec reste donc toujours un lieu de passage incontournable pour les touristes québécois et internationaux, mais la majorité des visiteurs étrangers semble plus attirée par le patrimoine de la ville de Québec que par son offre de grands événements ponctuels. Un dossier certes à suivre, si en plus de tout cela, la Coalition Héritage Québec souhaite faire de la ville et des environs une destination internationale revampée pour 2020.

Au moment de mettre ce texte sous presse, le maire de Québec, Régis Labeaume, n’avait toujours pas répondu à la demande d’entrevue du Voir.

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McCartney, Les Beatles et le Québec

Le 8 septembre 1964, des milliers de jeunes filles en pâmoison (et sans doute quelques garçons) s’égosillent au Forum de Montréal pendant un des deux spectacles du Fab Four, le premier à 16h30, le second à 20h. Le prix des billets? 4,50$ pour les portefeuilles modestes, 5,50$ pour les plus fortunés (en comparaison, les billets pour le concert du 23 juillet de Paul McCartney sur les plaines d’Abraham s’échangent contre 100 ou 200 beaux dollars chacun). Envie d’en savoir plus sur cette unique visite des p’tit gars de Liverpool en terre québécoise? Rendez vous dans la métropole au musée Pointe-à-Callière pour l’exposition Les Beatles à Montréal qui décortique, à l’aide de photos inédites et de précieux morceaux d’archives, ce passage express (10 heures, top chrono) durant lequel la formation s’entretiendra brièvement avec la grande Janette Bertrand.

Ceci explique peut-être la mine ahurie de Macca qui, lors de son passage au 400e en 2008, semblait ne pas en revenir pantoute que la qualité des intervieweurs ait à ce point diminué au Québec pour que le réseau TVA choisisse de le soumettre aux questions de Denis Lévesque (l’animateur avait poussé le ridicule jusqu’à lui demander si Ringo était en ville avec lui). Ces longues petites minutes de malaise télévisuel n’avaient pas empêché la légende de donner un concert d’anthologie et de promettre aux Québécois un retour éventuel, promesse qu’il allait enfin honorer il y a quelques mois en inscrivant Québec à l’horaire de sa tournée Out There. Selon les premières représentations données en mai au Brésil, Sir Paul cherche toujours à trouver le parfait équilibre entre son répertoire solo, celui des Wings et celui des Beatles lors de performances-fleuves de près de 40 chansons. (D. Tardif)

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Céliiiiiine et le Québec

Le 22 août 2008, à l’occasion du 400e de Québec, quelque 250 000 spectateurs foulent les plaines d’Abraham afin d’être soufflés par la titanesque voix de la petite fille (devenue grande) de Charlemagne. Une occasion dont ne manquera pas de se saisir le clan Dion pour réaffirmer l’appartenance au Québec de la diva, avec qui le gotha du showbiz de chez nous – Ginette Reno, Claude Dubois, Mes Aïeux – se voit offrir la chance de frayer sur scène le temps d’une chanson. La stratégie fonctionne au point où nous serions presque parvenus à croire que la soeur de Claudette n’a jamais quitté la province, n’eût été l’excès de révérence dont témoignent certains invités (exemple: Éric Lapointe à genoux).

Carl Wilson ferait sans doute ses choux gras de ce spectacle-événement s’il devait réécrire Let’s Talk About Love: A Journey to the End of Taste, une lecture essentielle pour qui cherche à comprendre le phénomène Céline. Le journaliste musical canadien rappelle dans ce brillant essai comment René Angélil a toujours su ménager les susceptibilités des Québécois partagés entre la fierté de voir leur «fille» triompher à l’étranger et la crainte qu’elle se «déquébécise» au contact de la culture américaine. Déjà au gala de l’ADISQ en 1990, une toute jeune Céline refusait le Félix de l’artiste anglophone de l’année, prétextant qu’elle demeurait partout sur la planète une chanteuse québécoise.

Fait inusité: le programme largement francophone du spectacle du 27 juillet prochain sur les plaines baptisé Céline… une seule fois a déjà été révélé. La bonne nouvelle: seulement trois extraits de son nouvel album Sans attendre, loin d’être à la hauteur de sa période Jean-Jacques Goldman (l’inégalable D’eux), seront interprétés. Nous profiterons de ces chansons oubliables pour passer au kiosque de rafraîchissements, mais reviendrons à temps pour hurler à tue-tête le refrain d’Incognito, dépoussiéré pour un soir seulement! (D. Tardif)