A Tribe Called Red / Show de la rentrée ULAVAL : Les justiciers rouges
Musique

A Tribe Called Red / Show de la rentrée ULAVAL : Les justiciers rouges

A Tribe Called Red pulvérise préjugés et stéréotypes un party à la fois à l’aide de la redoutable arme de son pow-wow-step. À l’aube de son passage à l’Université Laval, Bear Witness discute du pouvoir de la musique sur les esprits, critique le Tonto de Johnny Depp dans The Lone Ranger et raconte sa rencontre avec une jeune Autochtone à l’accent écossais dans un bar de Newcastle en Angleterre.

«Pendant qu’tu fixes l’œil musical / Le propos subliminal s’insinue, séminal», rappait Batlam de Loco Locass sur Manifestif, manière d’expliquer qu’il n’y a pas plus efficace subterfuge que la musique quand vient le temps de passer un message. A Tribe Called Red pourrait reprendre à son compte cet art poétique, tant le trio autochtone d’Ottawa est passé maître dans l’art casse-gueule d’ouvrir les esprits en faisant le party et de pulvériser les stéréotypes à l’aide de cette arme socialement acceptable qu’est la basse bien grasse.  

«Nous subvertissons l’environnement des boîtes de nuit pour changer la perception qu’entretiennent les gens au sujet des Premières Nations. Ce sont des sujets qui sont sensibles lorsqu’on les aborde de front en société, mais dans une boîte de nuit, puisque tout le monde est là d’abord pour avoir du plaisir, on peut subtilement montrer que nous ne sommes pas les clichés que véhiculent les médias et lancer la conversation», explique en entrevue Bear Witness. Une conversation de nation à nation, il va sans dire, d’où le titre du plus récent album de la formation composée également de DJ NDN et DJ Shub, Nation II Nation, qui malaxe sous la tente de l’ouverture d’esprit électro, hip-hop et musiques traditionnelles autochtones. Cette seconde bombe pow-wow-step (mot-valise unissant pow-wow et dubstep) signée ATCR pourrait d’ailleurs être couronnée disque de l’année au Canada par le Prix de musique Polaris le 23 septembre prochain.

Pas un costume d’Halloween

La parution des premières images du Tonto qu’interprète Johnny Depp dans The Lone Ranger déclenchait en début d’année une levée de boucliers chez des internautes indignés par les flagrantes ressemblances entre l’allure du personnage et la peinture d’un artiste non autochtone avouant lui-même n’avoir aucune prétention historique. D’autres répliquèrent, images à l’appui, que des Amérindiens ont déjà porté, à l’instar du populaire acteur dans le blockbuster de Disney, une corneille sur leur tête. Animé par de nobles intentions, Depp prétendait pour sa part avoir voulu battre en brèche les stéréotypes qu’alimente depuis toujours Hollywood.

«Le problème, c’est qu’à cause de ce film, des enfants vont se déguiser à l’Halloween prochaine en, ouvrir les guillemets, Indiens, fermer les guillemets. Et notre culture n’est pas un costume d’Halloween. À mes yeux, le Tonto original, celui de la série télévisée des années 1950, était un meilleur modèle pour les jeunes Autochtones», soutient le musicien en soulignant que l’acteur qui interprétait jadis le fidèle compagnon du justicier masqué était Mohawk.

«Des représentations comme celles de The Lone Ranger m’apparaissent regrettables d’autant plus que nous vivons une époque où les Autochtones reprennent de plus en plus le contrôle de leur image dans les médias. Nous n’avons plus à laisser les autres, peu importe leurs intentions, la dicter. Grâce à des stations comme APTN, nous pouvons écrire nos propres émissions. A Tribe Called Red fait partie de ce mouvement de réappropriation, comme plusieurs écrivains, humoristes et designers de mode.»

Autre continent, autre perspective

Il suffit de traverser l’océan pour que la perspective sur les relations entre Premières Nations et peuples colonisateurs change, ont constaté les membres de la formation cet été, alors qu’ils trimballaient mixeurs et tables tournantes pour une tournée de l’autre côté de la mare. En plus de galvaniser plusieurs salles, le trio s’est vu ouvrir les portes de la très sérieuse enceinte du département d’anthropologie d’une université à Édimbourg, à l’occasion d’une conférence devant une salle comble d’étudiants. «Nous n’avons pas frappé là-bas le même mur que nous frappons à l’occasion au Canada. Il arrive que les gens ici se braquent lorsqu’on aborde les enjeux autochtones, ce qui ne s’est pas passé là-bas. Nous avons réalisé que les Européens ne s’identifient pas à leurs ancêtres qui ont colonisé l’Amérique. Il n’avaient aucune idée des conditions de vie des Autochtones au Canada.»

Le grand métissage mondial qui est celui de notre époque provoque parfois des rencontres surréalistes. «Avant notre spectacle à Newcastle en Angleterre, nous traînions dans le bar où nous jouions et tout d’un coup, j’aperçois cette fille qui ne pouvait pas ne pas être une Autochtone, raconte Bear. Je m’approche pour la saluer et elle me répond avec cet accent écossais à couper au couteau. Il s’agissait d’une fille des Territoires du Nord-Ouest qui avait été adoptée toute petite par une famille écossaise. Nous étions les premiers membres des Premières Nations qu’elle rencontrait de sa vie!»