«C’est ma toune!»
La prestation monte d’un cran avec les événements Punk Rock Karaoké et Hip Hop Karaoké Montréal. Revue du phénomène.
Punk Rock Karaoké
«C’est une alternative au karaoké standard un peu kétaine… qui demeure aussi fun, bien sûr!», lance d’emblée Mathieu Beauséjour, membre du groupe étoile Punk Rock Karaoké. Le projet réunissant plusieurs visages connus des scènes rock et punk locale dont le guitariste Jocelyn Gagné des Breastfeeders, instigateur de la troupe, ainsi que le batteur Jonathan Bigras, aperçu au sein des Guenilles, notamment. Selon Beauséjour, le Punk Rock Karaoké tiendrait du fantasme pour plusieurs mélomanes «Je crois que chanter ces mêmes chansons sur une scène avec des musiciens et un rêve pour plusieurs, surtout sur une scène comme celle du Club Soda. Il va même y avoir un taureau mécanique!»
En plus de recevoir des chanteurs en herbe – qui ont confirmé leurs présences et choix de chanson sur la page Facebook de l’événement ou encore qui prendront leur courage à deux mains le soir même -, l’orchestre accompagnera aussi des participants connus, dont Xavier Caféine et Vincent Peake. Des invités de marque à l’image de la première formation «étoile» du genre menée par Éric Melvin, membre du groupe culte NOFX, en Californie à la fin des années 90. «Il y en a eu dans plusieurs autres villes depuis, dont Chicago, Detroit et New York. C’est maintenant planétaire et nous sommes les représentants de Montréal!»
Hip-Hop Karaoké
Du côté de la bande organisant les soirées mensuelles Hip-Hop Karaoké, l’événement karaoké tient davantage de la compétition que du concert. «On se distingue des autres événements, car il n’y a pas de paroles projetées», fait valoir Olivia Benaroche. «C’est ce qui attire les gens. Les gens voient ça comme un défi. Ils ont davantage le sens du devoir accompli au Hip-Hop Karaoké que dans un karaoké normal, sans compter que le débit est souvent plus complexe que le matériel de karaokés normaux, il y a donc un plus grand sens de l’accomplissement!», glisse-t-elle ensuite avant de préciser que «la foule est super chaleureuse et encourageante alors que dans un karaoké normal, plusieurs personnes se saoulent et c’est tout. Ici, le centre d’attraction est vraiment la performance et non pas l’atmosphère de party… bien que ça demeure une fête!»
Côté organisation, le Hip-Hop Karaoké s’organise en amont : les concurrents doivent confirmer leurs sélections avant les soirées sur le site officiel de l’événement. Tout comme le Punk Rock Karaoké, le Hip-Hop Karaoké est un chapitre découlant d’un premier événement né à New York. Bien que ces soirées s’inscrivent dans un genre de niche, l’organisation croit que le Hip-Hp Karaoké est très inclusif. «Beaucoup de participants sont des filles, ce qui est plutôt rare dans le genre. En fait, on encourage toutes démographies à y participer. Noirs, Blancs, anglophones ou francophones, etc.; tant qu’ils ont une passion pour le genre!», de conclure Mme Benaroche.
L’évolution du karaoké?
Pour la chercheure postdoctorale Hélène Laurin, à qui l’on doit un mémoire de maîtrise sur l’«air guitar» ainsi qu’une thèse sur Mötley Crüe, ces deux happenings se retrouvent à la croisée des chemins. “Ce n’est pas du karaoké. Il n’y a pas d’écran pour les paroles. Mais c’est quelqu’un qui chante sur une trame instrumentale. Qu’est-ce que le karaoké, en fait? C’est peut-être une nouvelle forme de karaoké. Les premiers bars karaoké datent quand même des années 90. Ça fait un bout!»
Plus tard, l’universitaire – qui coanime également Les Archéologues du rock, une baladodiffusion décortiquant certains dogmes musicaux -, liera ces soirées, et le karaoké en général, à une véritable quête identitaire. “Il y a beaucoup de définitions de soi dans le karaoké. Dans les bars, on y retrouve d’immenses catalogues avec plusieurs choix de chansons. Il y a en là-dedans qui sont tellement ‘toi’ que tu ‘dois’ les chanter. On se définit aux yeux des autres avec ce choix-là. Le choix est tellement grand qu’on peut sûrement y aller du fameux ‘C’est ma toune!’» Et en se limitant qu’à un seul genre musical, ces nouvelles mouvances dans le karaoké contribuent à cette identification. «Mon hypothèse est qu’ils accompagnent leurs ‘sous-cultures’ : on s’identifie tellement à ces genres musicaux-là, ils nous définissent tellement en fait, qu’on en vient à ces karaokés, car on ne se retrouve plus dans les bars karaoké standards où on retrouve un peu de tout.»
Laurin, qui a beaucoup lu sur le karaoké pour son mémoire de maîtrise… en plus d’être une enthousiaste s’en donnant à coeur joie sur le catalogue de Madonna ou encore en entonnant Incognito de Céline Dion, est aussi revenue sur l’essence du karaoké nord-américain qui, vraisemblablement, a toujours eu cette odeur de parfum bon marché et qui pourrait redorer son blason grâce à des événements de la trempe de Punk Rock Karaoké et Hip-Hop Karaoké Montréal. «Les bars karaoké ont toujours eu cette aura cheap, car ce n’est pas ‘authentique’. Au Japon, le corps est mis de l’avant. On va très loin pour faire dans l’imitation alors qu’ici, ça démontre un manque d’authenticité. Un karaoké avec des instruments se rapproche alors de cette authenticité-là, même si ça se veut être du karaoké. Ce n’est plus qu’une piste MIDI cheap avec de drôles d’images qui s’affichent pendant les solos. C’est plus authentique selon notre culture, selon ce qu’on révère ou non.»
Puis, la question à 100 jetons : si c’est si douteux, pourquoi le karaoké ne se démode pas? La chercheure ne bronche pas du tout. Selon l’analyse – et l’expérience personnelle – d’Hélène Laurin, toutes les générations de mélomanes trouvent leur compte dans le karaoké. Pour le meilleur, comme pour le pire. «Je crois que ça perdure grâce à sa réputation kitsch, en fait. Je remarque aussi que nos tounes “sérieuses” sont devenues drôles pour la “nouvelle génération”, tout comme les chansons “sérieuses” de gens plus vieux que nous sont nos chansons “amusantes”. Quand j’étais plus jeune, on y chantait du New Kids On The Block ou encore 1990 de Jean Leloup alors que les plus vieux c’était du Elton John ou My Way. Récemment, j’entendais des jeunes faire Wonderwall d’Oasis en déconnant et ma première réaction était de me dire : Ben là! C’est une toune qui transperce l’âme! Comprenez-vous l’anglais?’ Alors que si on fait ‘Tourne la page’, ils ne doivent rien y comprendre!»
Punk Rock Karaoké se tient ce soir au Club Soda dès 21h. Détails sur la page Facebook de l’événement. Une nouvelle édition de Hip-Hop Karaoké Montréal aura aussi lieu ce soir. C’est au Belmont et ça commence à 22h. Détails sur hhkmtl.com. Finalement, on peut s’abonner à la baladodiffusion d’Hélène Laurin sur archeologuesdurock.com.