Jason Bajada : Le triste, c'est chic
Musique

Jason Bajada : Le triste, c’est chic

Jason Bajada mesure le résultat de ses bêtises dans un chic premier album en français contenant, entre autres surprises, une chanson sur la souveraineté du Québec et une reprise d’Avec pas d’casque (ou presque). Explications avec ce nouvel ami du bonheur.

«Ma peine est chic», chante Jason Bajada sur la première pièce de son premier album en français, joliment baptisé Le résultat de mes bêtises. L’auteur-compositeur n’aurait pu mieux décrire cette manière qu’il préconise depuis maintenant quatre albums (dont le majeur Loveshit) de polir le diamant brut de la tristesse, de rendre chic ce qui ne l’est pas d’emblée, de sculpter une œuvre à même la mélancolie de l’amour qui chie. «C’est ça le métier, et je trouve ça vraiment pété. Je trouve ça pété de vivre des moments difficiles, de ne pas aller bien, d’être au coin de la table à café et d’écrire une toune, les larmes aux yeux, tout en essayant de faire quelque chose de beau, de plus grand que nature, avec ces émotions intenses. C’est encore plus pété quand, un an plus tard, tu présentes ça sur scène à des gens qui sont venus avoir du fun un beau vendredi soir. Il y a quelque chose de contraire à l’émotion de départ dans ce moment de fête-là.»

Toujours aussi intime avec la mélancolie soit-il, Bajada n’est plus l’exclu passif-agressif de l’amour qu’il était sur Loveshit et distille désormais dans ses textes quelques gouttes de ce bonheur qu’il a apprivoisé. «Je suis complètement ailleurs que lorsque j’ai écrit Loveshit, qui était vraiment dans la profonde mélancolie. Le résultat de mes bêtises, c’est un album polarisé au plan des thèmes: il y a une moitié qui est plus mélancolique, et une autre qui aborde d’autres idées comme l’amitié ou la souveraineté.»

Wo, wo, wo, Jason! Il y a une chanson qui traite de souveraineté sur ton album? La souveraineté du… Québec? «Je ne voulais pas que ce soit trop obvious et je constate que c’est réussi!», se réjouit celui qui chantait en français devant public pour la première fois de sa vie lors d’un rassemblement d’Option nationale pendant la plus récente campagne électorale provinciale. «Boire leur venin, c’est une chanson qui parle de souveraineté. J’avais vraiment Jean-Martin [Aussant] en tête quand je l’ai écrite. Je voulais aborder ce sujet là d’une manière un peu poétique, ouverte à l’interprétation. J’aurais trouvé ça ultra kitsch de mettre carrément le mot souveraineté dans une toune.»

Son passage au français ne devrait cependant pas être porté au compte de ses convictions politiques. «Je me demande pourquoi je ne l’ai pas fait avant», résume simplement le fils de papa franco et de maman anglo qui, depuis le berceau, s’était essentiellement abreuvé à la culture anglo-saxonne, à l’exception d’Alain Bashung, la faute à un ami très fan du grand ténébreux qui, la nuit, mentait. «Pour moi, c’était ça la musique francophone. C’était ce grand maître qu’écoutait tout le temps mon ami, jusqu’à ce que je commence récemment à écouter Pierre Lapointe ou Salomé Leclerc. J’ai le même sentiment en écoutant L’imprudence de Bashung qu’en écoutant Leonard Cohen.»

J’aime les filles

Il est beaucoup question de filles sur Le résultat de mes bêtises. De ces «jolies Françaises qui ont toujours raison» ou de ces belles imprévisibles qui écument la ville une Minolta au cou. La photo de pochette signée John Londono montre d’ailleurs un Bajada, pantalon rouge, veston à carreaux et regard hagard, s’essuyant la commissure des lèvres, à genoux dans un cabinet de curiosité très rococo où s’entassent bibelots étranges, jeux de société et bouteille d’alcool. «John a dit: « Ce serait le fun que tu aies du rouge sur le bord des lèvres. » Je trouvais ça un peu cheesy. Je craignais que ça fasse Roch Voisine. C’est la styliste qui a été obligée de poser un petit baiser sur le coin de ma bouche. Ça a été très désagréable.»

Sans embrasser goulûment les années 1980 comme son ami Peter Peter sur sa Version améliorée de la tristesse, Le résultat de mes bêtises valorise un certain foisonnement d’où bourgeonnent country, folk et pop 60s -, Bajada se permet quelques incartades fluos, dont Tes rêves, prête pour les arénas de ce monde, et Armée de montgolfières, justement coécrite avec Peter Peter en un après-midi autour d’une bouteille de vin. «Peter et moi, on s’est donné comme défi de ne pas écrire une chanson d’amour, parce que c’est notre zone de confort. Armée de montgolfières, c’est une toune hangover sur le métier, sur la vie qu’on mène. On fait des shows le samedi soir, on boit, on fait la fête. Ce n’est pas une vie trop stable. Les lendemains de concerts, on se réveille poqués. Il arrive que lorsqu’on a volé trop haut le samedi, nos parachutes traînent derrière nous le dimanche. Mais il faut se relever et faire confiance à la vie, même quand on a le soleil dans la face, parce que la journée qui s’en vient est flambant neuve. Armée de montgolfières, dans le fond, c’est un cover d’Avec pas d’casque.»

Le prince d’éternité Jean-Jacques Goldman affirmait au sujet de Céliiiiiiiine qu’elle ne mord pas de la même manière dans l’anglais que dans le français. Bajada pense-t-il être victime du même dédoublement de personnalité que la petite fille de Charlemagne? «C’est difficile pour moi d’être juge de ça. La première toune en français que j’ai écrite, je l’ai envoyée à mon réalisateur et il m’a répondu: « Man, tu chantes complètement différemment! » Il y en a d’autres qui écoutent et qui disent: « C’est exactement le même Bajada qu’en anglais. »»

Faudra demander à Jean-Jacques. Quelqu’un connaît son numéro?

 

Le résultat de mes bêtises

(Audiogram)