Zappa, l’OSM, la démocratisation du classique… : Démocratiser la musique aujourd’hui
L’Orchestre Métropolitain et l’Orchestre symphonique de Montréal partagent plus que jamais la mission de continuer à jouer, surtout quand la radio tire la plogue.
À l’heure où la musique classique a pratiquement disparu des ondes du diffuseur public (on s’était gardé une petite gêne, mais même L’opéra du samedi, diffusé chaque semaine depuis 1937, vient de passer à la trappe), le soin de faire connaître cette musique est remis entre les mains de ceux qui dirigent nos grands orchestres. Ils ont différentes façons de continuer malgré vents et marées à faire connaître la musique classique, et l’une d’elles consiste à la déguiser en… musique pop! Il y a différentes façons de mêler les codes (et les publics) des musiques pop et classique. On peut placer un orchestre symphonique derrière une vedette de la chanson (mettons, l’OSM derrière Marie-Mai, par exemple), l’orchestre peut aussi interpréter la musique «classique» d’une icône de la pop; c’est plus rare, mais c’est ce que fera Kent Nagano lorsqu’il dirigera la musique de Frank Zappa à l’OSM le 26 octobre.
Zappa faisait la même chose, mais à l’envers, lorsqu’il interprétait des versions trash d’œuvres d’Edgard Varèse avec les Mothers of Invention dans les années 1960, ou, plus tard, le Boléro de Ravel en version reggae. Mais lorsqu’il a eu envie d’entendre sa musique interprétée par un véritable orchestre symphonique au début des années 1980, c’est vers le London Symphony Orchestra qu’il s’est tourné et c’est Kent Nagano qu’il a embauché pour le diriger (lui permettant par ailleurs d’enregistrer son premier disque: LSO Vol. 1, 1983).
De toutes les pièces que Kent Nagano a dirigé durant sa collaboration avec Zappa, c’est Bogus Pomp qu’il a choisi de présenter lors du concert du 26 octobre avec l’Orchestre symphonique de Montréal, et ce sera la première fois qu’il rejouera du Zappa. «Pour moi, c’est l’une des meilleures que nous ayons enregistrées», explique-t-il lorsque je le joins par téléphone. «Zappa avait à l’occasion des illuminations, des traits de génie, mais je pense qu’il avait de la difficulté avec les grandes formes qui manquent souvent chez lui de structures formelles conventionnelles. Il y a beaucoup d’idées géniales, mais l’agencement des différentes sections est quelques fois un peu flou et c’est donc difficile d’interpréter ça de façon convaincante. Ce n’est pas le cas de Bogus Pomp, qui est structurellement très brillante. J’ai hésité avec Mo ‘n Herb’s Vacation, qui est un véritable poème symphonique et très drôle si on connaît un peu l’histoire qui est derrière, ironique et amère à la fois. Cependant, j’ai choisi Bogus Pomp parce qu’elle partage certains thèmes avec la Cinquième de Beethoven, qui est aussi au programme. C’est la symphonie « révolutionnaire » de Beethoven, qui était en phase avec les idées de Napoléon à propos de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Je trouve que Bogus Pomp, surtout dans la section du milieu de la pièce, et d’une façon très différente, a une résonnance avec les mêmes thèmes.»
La démocratisation de la musique classique, comme le montre bien la série OSM éclaté, ce n’est pas d’offrir aux masses des musiquettes sans substance en leur donnant l’impression de faire un beau geste, mais bien de leur offrir un programme costaud à un prix abordable (les billets pour ce concert Zappa sont au prix unique de 30$, ce qui est très bien!). Outre Beethoven et Zappa, le programme compte aussi la musique d’un compositeur allemand né en 1973: «Pour l’autre pièce au programme, explique le maestro, j’ai voulu mettre le projecteur sur notre fantastique section de contrebasses. Nous sommes chanceux à l’OSM d’avoir avec nous de très grands musiciens, sauf que la plupart du temps, on ressent la présence des contrebasses, mais on ne les voit pas assez. C’est pourquoi nous jouerons aussi Teiresias de Jörg Widmann pour six contrebasses, où six « frères », par leur instrument, joueront des partitions de valeur égale et qui leur laisseront aussi de grandes libertés.» Et n’oublions pas que la soirée se terminera par un DJ set de Misstress Barbara!
La directrice de la programmation musicale de l’OSM, Marianne Perron, explique: «La démocratisation de la musique classique, c’est carrément à la base de la fondation de l’orchestre, et c’était le premier objectif de Wilfrid-Pelletier lorsqu’il en a accepté la direction. Les premiers moyens utilisés, ça a été les matinées symphoniques pour les jeunes et les concerts dans les parcs. Cet été, c’est 70 000 personnes qui ont assisté aux concerts de l’OSM gratuitement!» Ajoutons d’ailleurs que plus de 30 000 personnes – un record – ont assisté au concert que donnait l’OSM (avec 10 pianistes!) au Parc olympique en août dernier. Marianne Perron poursuit: «L’OSM donne aussi des activités gratuites, des retransmissions extérieures et des journées portes ouvertes en ouverture de saison, mais on garde toujours en tête que les gens ont droit dans tous les cas à des prestations du meilleur niveau et on cherche toujours à éviter la facilité.» On s’en rend bien compte en constatant que le premier concert de la série OSM éclaté, donné en octobre 2010, offrait des musiques de Pierre Boulez, Gustav Mahler et Thomas Fehlmann.
L’Orchestre Métropolitain, qui donne chaque année de nombreux concerts en tournée dans l’île de Montréal, est aussi un joueur important de ce processus continuel visant à rapprocher le public et l’orchestre; joint par courriel, son directeur artistique Yannick Nézet-Séguin commente la situation: «La démocratisation de la musique classique passe par l’accessibilité et l’éducation, qui sont au cœur de la mission de l’Orchestre Métropolitain. Toute l’année, l’OM va à la rencontre des gens là où ils sont, dans les écoles et dans les arrondissements et grâce à des prix abordables, l’assistance ne cesse d’augmenter.» L’orchestre est également l’un des piliers de la série des Concerts populaires de Montréal, comme le rappelle le chef: «Les concerts d’été de l’Orchestre Métropolitain offrent une programmation variée et un peu plus populaire, mais sans jamais compromettre la qualité d’exécution. La démocratisation se fait surtout par la passion et l’engagement envers la musique classique, partagés et communiqués par les musiciens, les chefs ainsi que toute l’équipe de l’Orchestre Métropolitain.»
Frank Zappa mêlait avec bonheur la pop, le jazz, la musique classique et quoi encore! Ça donne un mélange assez corsé, comme le souligne Kent Nagano: «C’est une musique qui réclame beaucoup de temps de répétition et de bonnes conditions d’exécution. Si on veut la jouer, il faut être sérieux! Mais si vous jouez exactement ce qui est écrit, ça sonnera comme Frank Zappa voulait l’entendre.» Pour peu que l’on connaisse le chef et Zappa, on sait que ça devrait sonner pas trop mal!