Mauves : Vivre dans la nuit
Musique

Mauves : Vivre dans la nuit

Mauves déringardise le prog grâce à Le faux du soir, un deuxième album rempli de dédales et de portes dérobées. Entrevue nocturne avec Alexandre Martel.

Parce qu’il est minuit et qu’il est inutile, une fois la nuit tombée, d’alimenter les faux-semblants et de se confondre en circonvolutions, le mot prog – mot sale, mot vilain, mot pas cool pantoute – surgit rapidement dans notre conversation avec Alexandre Martel, chanteur, guitariste et claviériste de Mauves. «C’est un peu obscène de parler au téléphone à cette heure-là», blague-t-il, en adoptant la voix la plus P.S. Tendresse possible, au sujet de notre entrevue nocturne, clin d’œil au titre du deuxième album du quatuor de Québec, Le faux du soir, constellé de vespérales allusions.

Adoubés petits princes de la pop élégamment référentielle en 2011 grâce au très sixties Cinéma Plymouth, Mauves s’enfonce à fond de train sur ce nouveau disque dans l’avenue sur laquelle il s’était déjà engagé avec Rebrousser les Indes, son EP paru en début d’année. Pluie de notes de Rhodes qui arracheront sans doute un thumbs up à Ray Manzarek là où il se trouve, ambiances onirico-angoissantes à la Flaming Lips, solos de guitares à l’emporte-pièce, virages à 180 degrés en plein milieu de morceau, intro rock pesante digne de Galaxie, harmonies vocales aux effluves lysergiques; toutes les comètes qui traversent ce Faux du soir résolument éclaté, rempli de dédales et de portes dérobées, pointent vers ce mot, prog, genre mal-aimé et depuis longtemps tombé en disgrâce par la faute des excès de quelques mégalos (allô Emerson, Lake and Palmer). Une chanson s’intitule même Manège, noteront les vieux de la vieille (Martel assure qu’il ne s’agit que d’une coïncidence, rien à voir avec le groupe culte Maneige).

«On assume notre prog. On va ramener le prog et le rendre cool à nouveau», s’enthousiasme celui qui a été biberonné aux classiques de King Crimson, Yes et Genesis par un père fana de Gabriel et Fripp. «Tous les autres membres du groupe [Jean-Christophe Bédard-Rubin, Julien Déry et Cédric Martel] détestent le prog. On s’entend seulement sur les premiers de King Crimson et sur deux ou trois albums de Jethro Tull. Tout le reste, personne n’aime ça à part moi.»

«L’album en général a été fait en réaction à la réception du premier, poursuit-il plus sérieusement. Pas au sens où on voulait répondre aux critiques, mais elles nous ont forcés à avoir un regard sur ce qu’on écrivait. On a été qualifié de fleur bleue et je suis sans doute d’accord avec ça, mais on avait l’impression de se faire mettre dans une boîte. On voulait prendre le contre-pied de ça pour se donner la permission d’aller ailleurs, se rappeler que le champ est libre en incorporant différents éléments de différents styles à notre vocabulaire, sans renier rien de ce qu’on avait fait avant.»

J’aime Montréal l’hiver?

Le même décloisonnement prévaut côté textes. Là où le premier album alignait les exercices de style et les prénoms féminins, son successeur avance dans la nuit d’une poésie volontairement sibylline. «Les premiers mots du texte de Montréal, « Geais. Montréal. Hiver », ça peut sonner comme « J’aime Montréal l’hiver » ou comme « J’hais Montréal l’hiver ». Les gens peuvent comprendre ce qu’ils veulent, mais ils auront toujours tort [rires].»

Mauves se love donc volontiers contre le mystère, celui d’un titre comme Le faux du soir par exemple, image qui frappe l’imaginaire certes, mais qui glisse entre les doigts de qui voudrait la saisir pour bon, et dont Martel reconnaît ne pas connaître le sens exact. Tu ne connais pas le sens exact du titre de ton album, Alex? «Non, je ne sais pas précisément ce que ça veut dire. Le titre est venu du texte de Ruelles, de cette idée de peindre des faux. L’image s’est imposée assez fortement sans qu’on puisse convenir d’une signification unique. Le titre faisait aussi écho à la chanson Nuits américaines. Une nuit américaine, c’est un faux soir, une nuit artificielle pour le cinéma. Ça semblait bien tenir l’album.»

Nourri par une riche culture littéraire (Martel rédige présentement un mémoire de maîtrise sur le pape du Nouveau Roman, Alain Robbe-Grillet), Mauves chasse son aura d’intello en une seule photo posée en page centrale de sa pochette comme un sketch de Will Ferrell au milieu d’un film de la Nouvelle Vague, photo sur laquelle s’épanouissent un Jean-Christophe saucissonné dans un maillot léopard et un Cédric sapé en Ali G de la Rive-Sud. Qu’est-ce qui vous a pris? «On avait l’impression que le visuel et les chansons un peu dark ou complexes de l’album nous donnaient un air trop profond ou pseudo-cérébral, mais on est juste des gars qui aiment faire des bouffonneries. Ça prenait un truc pour que tout se défasse entre les mains de l’auditeur.» Mission accomplie.

Le faux du soir

(Abuzive Muzik)