Whitehorse : Les Canadiens errants
Musique

Whitehorse : Les Canadiens errants

Whitehorse, c’est l’amour de la scène, de la route et de l’americana. C’est aussi l’amour qui unit Luke Doucet et Melissa McClelland. Entretien avec un mari comblé et un citoyen de Toronto exaspéré par son maire.

Pour errer sur les routes de l’Amérique du Nord, Luke Doucet, flamboyant héros de la six cordes, et Melissa McClelland, égérie de la folk-pop, ont erré rien qu’en masse. Chacun de leur côté d’abord, pendant plusieurs années, avant de choisir de transposer à la scène la relation qui les unissait déjà à la ville en fondant Whitehorse. Une manière très pragmatique d’apaiser les affres de la solitude qui sont celles du musicien de tournée comme de ce Canadien errant que chante le duo sur son EP The Road to Massey Hall, paru en février dernier.

«Les émotions dont est imprégné Un Canadien errant [complainte d’exil d’Antoine Gérin-Lajoie écrite en 1842, aux termes de Rébellion du Bas-Canada de 1837-1838] me sont très familières», confirment Doucet au bout du fil dans un français hésitant, mais élégant. «Je connais beaucoup de musiciens qui sont en tournée cinq mois par année maximum. Nous, on est en tournée parfois neuf ou dix mois par année [en plus de labourer son propre sillon, le duo fait partie du groupe d’accompagnement de Sarah McLachlan]. Je ne sais pas comment il est possible pour les musiciens de laisser leurs femmes derrière eux quand ils partent tout ce temps. C’est sans doute pour cette raison qu’il y a beaucoup de musiciens qui décident d’arrêter la musique quand ils se marient ou ont des enfants. Puisque c’est ce que j’aime faire dans la vie, de la tournée, fonder un groupe avec Melissa était la seule solution.»

Tout aussi épris l’un de l’autre soient-ils, Doucet et McClelland ne sont pas à l’americana – rassurez-vous – ce que Jean-François Breau et Marie-Ève Janvier sont à la pop québécoise. Comprendre: le couple ne trempe pas sa plume dans l’eau de rose, malgré le romantique titre de son premier album complet, The Fate of the World Depends on This Kiss (qui figurait sur la plus récente courte liste du prix Polaris). «Il y a quand même des gens qui nous voient et qui disent: « Come on, gimme a break! C’est trop cute! »»

Mais écrit-on différemment lorsqu’on le fait non seulement pour soi, mais pour son épouse et soi? «Les histoires de solitude pullulent dans l’imaginaire de l’auteur-compositeur américain, et elles peuvent être attrayantes, mais elles ne correspondraient pas à ma vérité. Je ne peux pas ignorer que nous sommes deux sur scène. Ça présente parfois des limites quant aux histoires qu’on peut raconter. Je ne pourrais pas chanter: « La blonde là-bas, elle est très belle. » Ça semblerait un peu con, quand c’est si évident que Melissa et moi sommes mariés.»

Être en feu, à deux

La nature de la relation qui lie Luke et Melissa ne pose pas que des contraintes et permet au duo de jeter sur certaines chansons archiconnues une lumière nouvelle. I’m On Fire de Bruce Springsteen, monologue du désir indomptable, mais inassouvi, murmuré d’une voix viril au possible, se transforme chez Whitehorse en célébration du désir tout aussi indomptable, mais superbement réciproque. «Il y a des artistes qui préfèrent choisir des chansons obscures lorsqu’ils font des reprises. Pour moi, faire une reprise, c’est plutôt une manière de faire un commentaire sur la réception d’une chanson très populaire.»

Originaires de Hamilton, nos fiers ambassadeurs de la feuille d’érable essaiment partout sur la planète musique le nom de la capitale du Yukon, doux rappel du rôle principal qu’ont ironiquement tenu plusieurs musiciens canadiens dans la création de cet amalgame de musiques de racines baptisé americana. «Je n’ai pas de problème à ce qu’on décrive ce qu’on fait comme de l’americana, parce qu’on mélange effectivement le country, le blues et le folk. Mais l’histoire de l’americana, c’est Neil Young, The Band, Joni Mitchell, Blue Rodeo et Eliott Brood. On voulait affirmer notre appartenance canadienne et nous avons choisi le nom d’un endroit que nous aimons beaucoup!»

Ajout de dernière heure: quelques remarques au sujet de Rob Ford

Whitehorse révélait ce matin Boss Man, une chanson inspirée des déboires du maire de Toronto, Rob Ford, écrite en juillet dernier alors que le tsunami médiatico-politique actuel n’était encore qu’une petite tempête. «Bottom of the ninth, this one’s in the can / Bases are loaded but so is the boss man», raillent les amoureux sur ce caustique pamphlet, la première chanson enregistrée par Doucet et McClelland à l’aide de la station d’échantillonnages et de la quincaillerie de percussions hétéroclites (un lavabo?) qu’ils emploient sur scène.

Nous avons repassé un coup de fil à Doucet pour en jaser.

Voir: Vous traitez peu de politique habituellement. Pourquoi la débandade de Rob Ford vous a-t-elle inspirée?

Luke Doucet: «Cette histoire dépasse la politique, c’est un cirque. Nous n’aurions pas écrit une chanson sur les dépenses de Mike Duffy, par exemple, ça n’aurait pas été amusant. Dans le cas de Rob Ford, on parle d’un gorille de 10 000 livres, retenu à la mairie par une laisse, qui écrase de son poing quiconque tente de s’approcher de lui pour le libérer de ses souffrances. Cette histoire est plus grande que la politique. Ou plus petite, en fait.»

As-tu honte en tant que citoyen de Toronto de l’image que Rob Ford donne de la ville à l’étranger?

«Je n’ai pas vraiment honte du maire, dans la mesure où il se comporte comme il l’a toujours fait. Il n’a pas l’étoffe pour assumer ce genre de responsabilités, même s’il a été élu démocratiquement. Nous avons toujours en tant que Canadiens observé la politique américaine avec dédain, nous nous sommes toujours étonnés de sa folie, de sa stupidité, de sa puérilité, mais il faut se rendre à l’évidence que notre politique y ressemble de plus en plus.»

Pourquoi crois-tu que les supporteurs de Ford sont encore si nombreux et vindicatifs?

«Ses supporteurs se foutent qu’il y ait une crise à l’hôtel de ville ou de son comportement, tant et aussi longtemps que Ford s’engage à leur faire sauver un dollar sur leur compte de taxes. La pensée libertarienne de type Tea Party existe aussi au Canada et ses adhérents détestent tellement ce qu’ils appellent les buveurs de chardonnay de la gogauche snob du centre-ville [snobby downtown chardonnay sipping liberals] qu’ils sont prêts à endosser n’importe qui ou n’importe quoi, juste pour les emmerder.»

Le 21 novembre à 20h

À l’Auditorium de la Polyvalente Montignac de Lac-Mégantic

Le 22 novembre à 20h

À la Maison de la culture de Waterloo

Le 23 novembre à 20h

Au Centre d’art de Richmond