Les nuits rétro de Québec : Chic de ville
Musique

Les nuits rétro de Québec : Chic de ville

Leurs cheveux sont gominés et leurs robes couvertes de pois. Incursion chez les rockabillys.

Manny Junior est encore enfant lorsque Marty McFly l’invite à monter dans sa DeLoran et sème d’aventure en lui la graine du rockabilly. «Le film Retour vers le futur m’a profondément marqué. Je me rappelle que le gars jouait Johnny B. Goode.» Résultat: c’est une cassette de Chuck Berry, et non pas de Huey Lewis and the News, que réclame à son père le petit gars, futur leader de Manny Jr and the Cyclones, un des groupes phares de la très bourgeonnante scène rockabilly de Québec, une nébuleuse à laquelle appartiennent des groupes (pas tous rockabilly au sens strict) comme Damn The Luck, The Magotty Brats, Les Babalooneys et Odeur de Swing.

Entre les Bad Mojo Nights de La Cuisine, les spectacles du resto-bar/night-club/musée Cécile et Ramone, la série du Petit Impérial, les soirées swing du Café Babylone et les éternelles nuits d’enfer du Scanner, les rockabil’ menacent de bientôt régner en rois et maîtres, un lait frappé dans une main et une vieille Gretsch dans l’autre, sur l’ensemble de la capitale. «Quelqu’un qui le veut peut aller voir des soirées rockabilly chaque soir de la semaine», assure Mel Lalancette de Melvis and the Jive Cats, qui faisait paraître il y a quelques semaines Mr. Jive, un premier album complet. Les nombreuses écoles de danse jive et swing auraient selon la chanteuse accouché d’une masse critique de noceurs à la recherche de lieux et d’occasions d’user leurs souliers (en suède bleu).

«Je pense que Shawn Barker, qui présente l’hommage à Johnny Cash au Capitole depuis 2009, a apporté une vibe vintage à Québec. Monsieur et madame tout le monde viennent maintenant dans nos shows», avance pour sa part Manny en soulignant que l’homme en noir, principalement associé au country, a lui-même flirté avec le rockabilly, à l’instar de plusieurs figures mythiques des années 1950, dont Roy Orbison, Jerry Lee Lewis et Elvis Presley. «Elvis, c’est un peu encombrant pour les rockabillys, parce que tout le monde pense d’abord au Elvis en jumpsuit des années 1970. Sauf que ça reste un incontournable.»

Mais qu’est-ce que le rockabilly exactement? «C’est un mélange de hillbilly [terme employé dans les années 1940-1950 pour désigner la musique country, abandonnée pour sa connotation dénigrante envers les ruraux], de swing, et de rhythm and blues», explique celui que l’on aperçoit aussi au sein de The Typhoons, groupe essentiellement instrumental qui ambitionne de reproduire le plus fidèlement possible, avec de l’équipement d’époque, le son du rock’n’roll des années 1962-1963 (précisément!).

«La formation classique du rockabilly, poursuit-il, c’est un guitariste acoustique, un guitariste électrique, un contrebassiste qui frappe son manche en jouant et un batteur qui tape comme un malade. Le rockabilly, ce n’est pas léché, c’est le punk des années 1950. Sam Phillips [fondateur des Sun Studios et de Sun Records] disait que ce qu’il cherchait, c’est le parfait imparfait. C’est très rockabilly ça.»

«Il y a une frivolité, une légèreté dans cette musique-là», ajoute Mel, qui dirige aussi le Mel and The Blue Rhythm Jazz Band. «Tu ne peux pas écouter du rockabilly et être malheureux.»

Du ska au rockabilly

C’est un détour par le ska et le punk à l’adolescence qui ramène Manny au rockabilly, par le biais du swing revival des années 1990 (Cherry Poppin’ Daddies, Big Bad Voodoo Daddy), que cooptait alors la scène punk et le Vans Warped Tour. «Je me souviens qu’un de mes chums m’avait dit: « Tsé, Brian Setzer [leader du Brian Setzer Orchestra], ben il avait un band dans les années 1980, les Stray Cats [porte-étendard du rockabilly revival des années 1980]. » Je suis tombé là-dedans.»

Pionnier de la scène rockabilly, le mécanicien de métier rappelle qu’une traversée du désert a précédé l’effervescence actuelle. «Je me souviens d’un des shows de Bloodshot Bill en 2006, on devait être vingt dans la salle», rigole-t-il avant de faire remarquer qu’Internet a ironiquement permis de sortir de l’isolement ces amoureux d’une époque où l’ordinateur tenait de la plus extravagante des sciences-fictions.

La garde-robe pleine de pois

Le rockabilly, c’est des guitares trempées de reverb et des trémolos virils. C’est aussi des voitures anciennes (des hot rod!) et un style vestimentaire reconnaissable entre tous. Parce qu’être rockabil’, c’est être bien sapé. «Pour certains, il s’agit plus d’un costume. Moi, je m’habille tout le temps de même. J’ai 26 robes à pois! J’ai beaucoup trop de pois dans ma garde-robe!», blague Mel.

Mais soyons pragmatiquement capillaires un instant: n’est-ce pas mortel pour le cuir chevelu que de s’enduire aussi régulièrement la tête de pommade? Notre spécialiste en la matière, Manny Junior: «C’est drôle que tu me parles de ça, parce que je viens juste d’aller me faire couper les cheveux. Comme j’étais en show hier, j’avais encore les cheveux plein de pommade. Ma coiffeuse chialait, elle dit que ça brise ses clippers. Sérieusement, ce n’est vraiment pas bon. La cire d’abeille et le pétrole qu’il y a dans la pommade empêchent ton cheveu de respirer.» Morale de l’histoire: il faut souffrir pour être rockabil’.

Manny Jr and The Cyclones

Jeudi 28 novembre à 20h30

Resto-bar Cécile et Ramone

Melvis and The Jive Cats

Samedi 30 novembre à 21h30

Resto-bar Cécile et Ramone