15 ans des Tireux d'roches : Tirer son épingle du jeu
Musique

15 ans des Tireux d’roches : Tirer son épingle du jeu

Avec leur album XO, 15 ans d’âge, les Tireux d’roches soulignent une étape de leur carrière en se réinventant.

À l’image de ses prestations sur scène – et sur disque –, Denis Massé confirme également sa réputation de conteur hors pair en entrevue. «Au fil des années, on en vient à avoir des choses à dire!», balance-t-il en abordant la «nouvelle direction» dans laquelle son collectif trad s’est dirigé avec XO, 15 ans d’âge. Puis, une pause – histoire de créer un suspense – et le gaillard se lance.

Des histoires de ponts

Massé fera valoir qu’en 15 ans, son genre de prédilection a bel et bien changé, alors que de plus en plus de projets musicaux s’inspirent du folklore traditionnel pour leurs propres œuvres. «À l’époque, on pouvait puiser dans ce répertoire et en tirer des trésors. Aujourd’hui, il y a plus d’abondance au niveau de l’approche du conte, de la musique et des chansons. Les trésors sont donc de plus en plus difficiles à trouver.» D’où la décision d’y aller avec un premier album reposant essentiellement sur des musiques et textes – engagés, de surcroît – des Tireux d’roches.

«Les thèmes sont sociaux, mais l’approche demeure “trad”», assure Massé, en prenant pour exemple des pièces comme Le pont de Québec, où on fait autant référence à son histoire qu’à la situation – assurément contemporaine – des constructions du genre. «Je n’en ai pas trop parlé, mais Ben des mots fait un peu référence à la Charte, glissera-t-il. On a beau enlever les crucifix et autres symboliques pour être une société laïque, mais un “tabarnac” va toujours demeurer un tabernacle. Nos objets sacrés vont toujours le demeurer, même dans une société laïque, comme on va toujours interdire à nos enfants d’utiliser ces gros mots-là, même s’ils ne savent pas ce qu’est un tabernacle ou un calice. C’est particulier ici. Partout dans la francophonie, les jurons sont surtout associés au sexe ou à la scatologie… sauf ici, où ce sont des mots sacrés… et nous demeurons pognés avec ça!»

Cognac consacré

Également à noter : ce nouveau cru des Tireux d’roches est le premier sur une étiquette majeure : Musicor. «Ce n’est pas vraiment une consécration, quand même!», lance Denis Massé dans un éclat de rire. «On l’a plutôt vu comme une certaine reconnaissance.» Évoluant dans un genre quand même marginal – non seulement le trad est peu diffusé dans les médias de masse, mais si ça lui arrive, ce sera surtout pendant les fêtes –, le chanteur souligne le courage de son label d’adoption de s’investir dans une scène aussi nichée. «C’est la suite des choses qui nous dira s’ils ont bien fait ou non!»

Tout en gardant des liens étanches avec la COOP Les Faux-Monnayeurs, qui gère toujours le sextuor en plus de s’occuper de ses spectacles, Massé et les autres Tireux semblent soulagés de délaisser l’autoproduction de leurs œuvres. «C’est la première fois qu’on termine un disque sans que les musiciens se soient endettés à le faire!» Bref, XO – en référence à l’appellation extra old du cognac de qualité et non pas à «becs, calins» – est une récompense bien méritée pour le public, mais aussi pour le groupe derrière le disque.

Frileux en hiver… et en été

Si tout va bien dans le camp des Tireux, Denis Massé se désole tout de même pour la situation du trad au Québec, un terroir qui est pourtant foisonnant pour le genre. «Les diffuseurs québécois demeurent frileux», déplore-t-il, tout en mentionnant qu’une ombre faussement passéiste, voire ringarde, plane toujours au-dessus du style musical. «Le travail est toujours à refaire. À chaque entrevue, on me parle du temps des fêtes, d’à quel point on doit être occupé ou on doit vendre des disques à cette époque. Ce n’est plus vrai, ça. Partout à travers le monde, sauf peut-être au Québec, la musique traditionnelle n’est pas qu’associée qu’aux fêtes. Elle est même étudiée à l’université!», élabore Massé tout en faisant valoir que bon nombre d’artistes trad québécois profitent d’une belle visibilité en Europe tout au long de l’année.

Heureusement, une résistance pourrait bien se tramer en ce moment même.

Plus tard, Massé confie qu’une discussion récente avec Nicolas Pellerin, le chanteur des Grands Hurleurs, l’a mené à la conclusion que la province aurait grand besoin d’un nouvel événement de musique traditionnelle pour remettre la scène sur les planches du Québec et pour compléter l’offre de festivals comme La Grande Rencontre ainsi que Mémoire et racines: «La musique est trop belle et les musiciens sont trop bons! La musique traditionnelle québécoise n’a jamais été aussi bonne qu’elle l’est là! Nous sommes vraiment dans un renouveau du traditionnel en ce moment et il faut, plus que jamais, l’amener aux oreilles des gens, en fait!»

Une nouvelle résolution à prendre le 31 décembre, alors : arrêter de n’associer le trad qu’aux fêtes.

Le groupe d’une vie

Noces de cristal obligeant, Denis Massé n’a que de bons mots pour parler de ses camarades lorsqu’on l’invite à commenter ces 15 années tumultueuses. «On se dit qu’à 70 ans, on risque d’être toujours ensemble à faire de la musique tant on s’entend bien», confie-t-il, tout en se disant rassuré que la troupe – qui compte aujourd’hui deux des Tireux originaux et qui est la même depuis 2009 – est toujours aussi heureuse de se retrouver pour créer, répéter et partir en tournée.

Une chimie effervescente, donc, mais qui a pris de l’ampleur qu’au fil du temps. «C’est long à développer tout ça. On a écrasé nos égos et travaillé sur notre orgueil. On n’attaque jamais une personne. Si la toune n’est pas bonne, elle est juste pas bonne! Au début, ça faisait mal de se faire juger nos idées ainsi, mais c’est la vie de tous les groupes, ça. Ça a été un long cheminement pour en arriver là!» Ainsi, les Tireux sont autant matures en âge – la majorité du groupe approche la cinquantaine – qu’en esprit.

Justement, Denis Massé conclura sur une note particulièrement songée: «C’est vraiment le fun, les Tireux d’roches. J’ai d’autres projets dans la vie, mais des groupes comme ça, je n’en voudrais pas deux parce que c’est beaucoup d’investissement personnel et de tortures intérieures. C’est le genre de projet que t’as une seule fois dans ta vie! On peut jouer dans ou monter d’autres groupes, mais ils n’impliqueront jamais autant d’investissement!»

XO, 15 ans d’âge (Musicor)

Disponible maintenant

En concert au Lion d’or le 28 décembre. Détails de la tournée sur tireuxderoches.com.