Dragos : Homme autonome
Musique

Dragos : Homme autonome

Tapi dans son appartement de Saint-Jean-Baptiste, Dragos a bidouillé une des plus belles surprises de 2013, Something about being a man. Faisons connaissance avec l’ermite.

Dragos ne s’en cache pas: sortir de chez lui, ce n’est pas exactement son truc. Pas plus que de travailler à son autopromotion ou de réfléchir à son image publique. N’est-ce pas la toujours bienveillante collègue Catherine Genest qui me confiait la semaine dernière s’être récemment chargée de prodiguer une petite leçon de marketing au timide sculpteur de son de la Capitale? «Je lui ai dit: il faut que tu arrêtes de changer de nom à chaque chanson que tu lances. Dragos Civic, Dragos C., Dragos, on finit par ne plus savoir comment tu t’appelles!»

Ce qu’on sait assurément c’est que personne n’avait vu venir (à part Catherine, of course) la petite bombe lustrée qu’est Something about being a man, le deuxième album de celui qu’on désignait tout simplement par son prénom, Dragos, au moment de mettre sous presse (oui, oui, c’est son vrai prénom, le type est né en Roumanie, et on prononce plus Dragoche que Dragosss, OK?). Certaines des pièces de son premier album, Peace and knowledge, avaient bien tourné à CHYZ, mais plusieurs de ses animateurs ne savaient même pas que l’artiste derrière ces luxuriants paysages sonores vivait à Québec. Au cœur d’une époque où chaque album, même ceux qui surgissent du champ gauche, est annoncé avec tambours, trompettes et vidéos aux ambitions virales, celui que l’on a surnommé le Giorgio Moroder de Saint-Jean-Baptiste prenait tout le monde de court début décembre en téléversant sans avertissement son album sur la Toile, contraignant au passage plusieurs journalistes à rogner un item de leur top 10 de fin d’année, question de lui faire une place.

Mais dis, Dragos, pourquoi tabarouette ne te connaissions-nous pas? «Je ne dis pas à tout le monde que je fais de la musique, tu sais, je reste pas mal enfermé chez moi. Je suis toujours en train de faire des travaux et je n’aime pas beaucoup me tenir dans les endroits crowdés. J’ai beaucoup mixé à L’Atelier, mais je me suis un peu tanné.»

Des travaux? Des travaux scolaires, oui. Dragos étudie présentement au département de musique de l’Université Laval. Le candidat au doctorat en recherche et création consacre ses travaux à perfectionner une technique qui permettrait aux cracks du son de mixer et de masteriser un album en une seule étape presque facile (une innovation dont il nous a parlé pendant plusieurs minutes; nous avons fait semblant de tout saisir).

C’est dans les corridors de l’Université Laval que le jeune compositeur a recruté les voix de Something about being a man, simplement désignées par leurs prénoms (Jessy, Rémy, Thierry, Odile, Gabrielle et Amélie, comme dans Amélie No de I.No, la seule à ne pas être issue de la filière estudiantine), des voix chaudes qui propulsent ses pièces riches d’un luxe de détails vers des cimes pop dignes de l’eurodance du meilleur goût (on pense aussi au duo anglais Disclosure et au travail de l’étiquette Italians Do It Better). «Quand j’ai d’abord écrit les parties vocales, ça sonnait grégorien, c’était plein de quintes et de tierces. Les chanteurs m’ont tous demandé s’ils pouvaient essayer autre chose, ils ont tous attaqué les morceaux comme ils le sentaient et c’était finalement meilleur.»

De Bach à Daft Punk

Né en Roumanie, Dragos consacre une bonne partie de son enfance à caresser les ivoires, une relation féconde qu’il poursuivra à son arrivée au Québec à l’âge de 9 ans. Ce n’est que tard au secondaire que les hommes de main d’Ed Banger comme Breakbot et Justice, ainsi que d’autres producteurs hexagonaux comme Kavinsky et bien sûr Daft Punk, passent à tabac ses oreilles formées à la musique classique. Rien cependant pour détrôner un certain compositeur allemand en tête du palmarès des maîtres à penser de notre ermite. «Je capote encore aujourd’hui beaucoup sur Bach, confie-t-il. Je n’en reviens juste pas. C’est tellement grand comme musique, c’en est intimidant, c’est presque fâchant. Il composait une demi-heure de musique chaque semaine et moi ça m’a pris un an pour faire un album de 28 minutes. Si je pouvais vivre la pire semaine créative de sa vie une fois dans ma carrière, je serais trop content.»

Alors que la rumeur d’un concert qui réunirait toutes les voix de l’album autour de quelques musiciens à l’occasion de la prochaine édition du Festival OFF de Québec court déjà, Dragos encaisse le coup de l’étonnant retentissement que connaissent les réjouissantes 28 minutes susmentionnées. «Ça m’étonne que mon album pogne», assure-t-il sur un ton dénotant une sincérité dont on ne peut douter. «Pas que je ne le trouve pas bon, mais je ne m’attendais pas à ce que ça lève à Québec. Je me suis mis à me remettre en doute tellement ça a pogné avec du monde avec qui je ne m’attendais pas que ça pogne. « Est-ce que j’ai fait quelque chose de trop général, de trop accessible? », que je me disais. L’autre fois, à l’université, un dude m’agrippe par le bras et il me dit: « J’ai écouté ton album. » « Pis l’as-tu aimé? » « Oui, mais je ne comprends pas pourquoi, je n’aime pas ça la musique électronique d’habitude. Je l’ai écouté quatre fois avec des amis pis on ne sait pas pourquoi c’est bon. Le sais-tu toi? » Il me demandait de lui expliquer pourquoi il aime mon album!»

N’est-ce pas le propre des plus grands charmes – et des plus grands charmeurs – que d’être mystérieux?

Something about being a man

Disponible au dragoscivic.bandcamp.com