Against Me! : Les bonnes décisions
Le groupe punk rock de Gainesville se réinvente : nouvelle étiquette, nouveaux membres, nouveaux procédés, mais conserve la même attitude.
En 2012, Against Me! surprenait à nouveau la planète musicale. Après avoir fait paraître deux disques définitivement plus rock que leur son punk d’antan, on révélait dans une entrevue donnée au Rolling Stone que le chanteur de la troupe de choc était maintenant transgenre et qu’il adopterait désormais le nom de scène Laura Jane Grace. Des années, des tournées annulées, des changements de personnel et de maison de disques plus tard, Le combo renoue avec ses racines en présentant un album abrasif, indépendant et abordant un sujet toujours tabou.
Le mot du jour : surréalisme
À l’autre bout du fil, Grace semble détendue, à peine blasée par le cirque médiatique entourant la parution de Transgender Dysphoria Blues, disque qui tenait presque de la légende urbaine jusqu’à tout récemment. «C’est un peu surréaliste, en effet, que cet album soit finalement sorti!», concède-t-elle, cherchant ses mots pour exprimer ce que le dévoilement de cette oeuvre représente. «On a passé tellement de temps à l’enregistrer. Je crois que je n’ai pas encore digéré sa réception.»
Il faut dire que bien que l’album est officiellement dans les bacs que depuis mardi, celui-ci circule entre les mains des mélomanes depuis des semaines, le groupe – déjà sur la route – écoulant des exemplaires lors de leurs concerts. «On a donc passé tout le mois à réaliser que l’enregistrement était vraiment terminé, que c’était maintenant entre les mains des gens et l’accueil est très positif à ce jour. Nous sommes finalement “de retour” et on se sent très bien!»
L’année dernière, par contre, tout n’était pas si rose au sein de la tribu : le batteur George Rebello a quitté la troupe pour se concentrer sur son autre projet musical : Hot Water Music. Puis, en mai, le bassiste Andrew Seward – membre du collectif depuis 2002 – claquait la porte à son tour. À l’époque, Grace avait confié à un site de nouvelles punk que «poursuivre nos activités sous le nom d’Against Me! semble de plus en plus ridicule». Des mois plus tard, la chanteuse revient sur cette déclaration.
«À chaque fois qu’un groupe perd un membre, il y a un moment où l’on se questionne, où l’on se remet en question, où l’on se demande si on trouvera quelqu’un d’aussi talentueux pour poursuivre ou s’il ne vaudrait pas mieux mettre un terme à tout ça. C’était, encore une fois, très surréaliste», fait-elle valoir avant de s’empresser d’ajouter que, «Finalement, on s’en est quand même bien sorti en recrutant Atom (Willard, aussi aperçu derrière les tambours de The Offspring et Danko Jones, notamment). Je crois que l’avoir à la batterie nous a beaucoup aidés. De mon côté, ça m’a vraiment poussé à persévérer. Je voulais vraiment qu’on termine l’album, voire faire de la tournée avec lui et le groupe.», mentionne-t-elle tout en soulignant l’apport d’Inge Johansson, nouveau venu à la basse.
Seule dans sa «cuisine»
Après un passage sur l’étiquette majeure Sire (maison de disque liée à Warner à qui l’on doit des parutions de Light, Regina Spektor ainsi que Tegan & Sara), Against Me! annonçait en 2011 qu’il retournait à ses racines «indé» en établissant son propre studio (Total Treble Studio) ainsi que son propre label (Total Treble Music). «Après notre expérience chez les « majors », on se demandait ce qu’on devrait faire», confie Laura Jane avant de se faire incroyablement franche. «On a discuté avec quelques étiquettes et on sentait que nos options étaient plutôt limitées. Je sentais que personne n’était aussi excité que nous à l’idée de produire un nouveau disque d’Against Me!»
Plus tard, la chanteuse ajoutera toutefois qu’elle avait elle-même des réserves dans sa recherche d’un nouveau label. «Je ne voulais pas qu’on se complaise dans une entente. Je voulais avoir l’impression qu’on allait de l’avant, voire qu’on prenait un risque. Tout sauf prendre une décision prévisible ou juste confortable. Alors, l’idée de le lancer par nous-mêmes et d’être totalement libre et en contrôle, surtout après une expérience sur une étiquette majeure où on avait parfois l’impression qu’il y avait trop de chefs dans la cuisine et que ça gâtait la sauce, était donc l’idée la plus séduisante du lot.»
La leader semble un peu aigrie par son expérience dans «les ligues majeures», celle-ci conserve tout de même de précieux souvenirs de sa collaboration avec le producteur Butch Vig et l’ingénieur Billy Bush, deux des artisans derrière leurs parutions sur Sire et – bien malgré eux – des muses pour le modus operanti de Transgender Dysphoria Blues.
«On parle ici de deux bonshommes qui sont au sommet de leur art. Enregistrer avec ces gars là tenait presque du cours universitaire!», s’exclame Grace, rappelant du même coup que Bush s’est quand même chargé du matriçage du nouvel opus. «Comme on n’a pas pu collaborer à nouveau avec ce tandem – le timing n’était pas bon, tout simplement – j’ai saisi la balle au bond et j’ai tenté d’appliquer leurs enseignements à ce nouvel album par moi-même. Après tout, je suis une musicienne et la réalisation est un travail déterminant qui, évidemment, m’intéresse beaucoup. M’en charger était la prochaine étape, disons.»
Du même souffle, la chanteuse confirmera que l’inspiration derrière l’oeuvre a aussi fait en sorte que l’entourage gravitant autour d’Against Me! était particulièrement réduit pour cet enregistrement. «Comme le contenu de ce nouvel album est très personnel, je n’avais pas vraiment envie de l’interpréter devant plusieurs « inconnus » non plus.»
La vie après…
Retour en arrière : lors de cette fameuse entrevue accordée au Rolling Stone, Grace illustrait l’annonce de sa décision auprès de ses frères d’arme – de s’affirmer comme femme – d’une façon assez inusitée : «Je me suis senti comme si je venais de leur envoyer un coup de pied en plein visage!» Est-ce que tout est revenu «à la normale» pour Against Me!? Pas vraiment.
«Tout va beaucoup mieux, en fait», révèle Grace, d’un ton léger. «Par exemple, ma relation avec James (Bowman, guitariste du groupe), qui est maintenant un des doyens du groupe, n’a jamais été aussi saine.» Ainsi, l’effet du coup de pied aura été très bref, autant pour ses compères que pour les fans et ses collègues dans d’autres groupes. En fait, la personne qui aura offert le plus de réticence à la transformation de Grace aura été Laura Jane elle-même.
«Les mots me venaient facilement, mais sachant la charge qu’ils avaient et à quel point ils pouvaient être personnels, quelque chose en moi faisait en sorte qu’il m’arrivait de « résister » avant de les coucher sur papier», se rappelle-t-elle en abordant l’écriture des paroles des pièces de Transgender Dysphoria Blues. «J’en venais à souhaiter que l’album aborde un autre sujet! Puis, j’ai finalement « cédé » et je me suis fait à l’idée que j’aborderais vraiment ça. À partir de ce moment, l’écriture s’est faite avec aisance. Après tout, écrire d’un point de vue personnel est plus « facile » que de faire dans la chanson engagée, car l’inspiration vient d’un sujet qu’on connaît à fond : soi-même.»
Puis, la réponse à la question tant attendue : «On devrait passer au Québec très bientôt si tout va bien. On travaille là-dessus en ce moment même.»
Transgender Dysphoria Blues est actuellement disponible en ligne et en magasin sur étiquette Total Treble Music.