Agnes Obel : Femme de rêves
Agnes Obel joue du piano en cinérama. À l’aube de son premier passage au Québec, la Danoise raconte pourquoi musique et images vont main dans la main dans son cœur.
Il était une fois au Danemark, une petite fille aux boucles d’or qui, sous l’empire d’un piano particulièrement ensorcelant, écrivait les yeux fermés les scénarios de ses propres contes de fées.
«Ma mère et mon père avaient des goûts musicaux assez différents, se rappelle Agnes Obel. Ma mère écoutait beaucoup de musique classique, du Ravel surtout. Mon père, du jazz. Sauf que les deux s’entendaient sur le jazz suédois, particulièrement un disque d’interprétation de chansons folks traditionnelles suédoises de Jan Johansson, des pièces instrumentales magnifiques, parfaites pour s’imaginer des histoires. Tu l’entends tenir le rythme de la main gauche [elle chantonne: pa-dam-dam], puis raconter une histoire avec sa main droite [elle chantonne de nouveau: tam-da-dam-dam]. Je m’imaginais des forêts, des orignaux, de la mousse, des contes de fées à la suédoise, quoi!»
Pour la Danoise, aujourd’hui citoyenne de Berlin, la musique est depuis affaire d’images plus que de mots, ce qui explique sans doute les longs silences qui précéderont presque chacune de ses réponses à nos questions, silences d’une durée telle que nous craignons à quelques reprises que la connexion téléphonique avec sa loge du De Doelen à Rotterdam, où elle donne un concert ce soir-là, ait été rompue. Femme peu loquace, mademoiselle Obel? Pas de temps de réflexion nécessaire, elle avoue candidement, sans qu’on doive lui tordre le bras, que sa relation à l’écriture, et à l’exercice de l’entrevue, tient du mariage obligé. «J’ai parfois l’impression que je suis la moins bien placée pour parler de ma musique.» Elle rit un peu nerveusement, comme pour s’excuser. «Quand je suis rentrée à la maison après la longue tournée de Philharmonics [son premier album, qui l’a propulsée au statut de star dans son pays], j’ai d’abord tenté de réécrire des chansons comme je les avais toujours écrites, mais je n’arrivais pas à mettre des mots sur la musique. J’écrivais des morceaux instrumentaux. J’étais comme fatiguée des mots et je le suis encore jusqu’à un certain point. Ironiquement, la première vraie chanson que j’ai réussi à écrire, c’est Words Are Dead.»
Soleil rouge
Qu’Agnes Obel évoque les contes de fées qu’elle se racontait petite tombe parfaitement sous le sens, son folk de chambre s’élevant d’un lieu situé en marge du monde, à côté du réel. Les pattes de son piano bien plantées hors du temps, la pianiste hulule des comptines baroques pour grands enfants otages de leurs rêves bienveillants ou opprimants, une musique éclairée à contre-jour par la lumière d’un inquiétant soleil rouge, comme celui qui dessine un halo autour du visage de la pianiste sur la photo ornant la couverture de son deuxième album, Aventine. «Je pensais d’abord à une autre pochette, une photo en noir et blanc d’un homme qui traverse un pont, une photo qui a l’air un peu vieille, mais dont on ne peut identifier l’époque.»
Bien qu’elle ait finalement opté pour ce mystérieux portrait de profil pris «par mon copain, parce que c’est un album très personnel», et non pour le noir et blanc, Obel revendique l’aspect atemporel, imperméable à son époque mais bien en phase avec le temps du cœur, de ses chansons, singularité que n’a pas manqué de souligner à gros traits une critique particulièrement extatique à la sortie de Philhamornics en 2010. «J’aime vraiment les choses qui n’appartiennent pas clairement à une époque en particulier.» Longue pause. Allô, Agnes, es-tu encore là? «Oui, je suis toujours là, c’est juste que je ne veux pas mentir. J’y pense et j’aime aussi les choses qui appartiennent précisément à une certaine époque. Il n’y a rien qui me fait plus sourire qu’une chanson typiquement nineties. J’ai déjà joué au sein de groupes qui étaient très conscients de l’époque dans laquelle ils s’inscrivaient. Au moment d’écrire mes propres chansons, j’ai voulu suspendre toute connaissance que j’avais de notre époque, de ce qui fonctionne présentement en musique, et essayer de circonscrire les mélodies que j’avais vraiment envie d’entendre.»
À force d’éclat de rires et de répliques pleine d’autodérision, Agnes aura en quelques trente minutes d’entrevue fait voler en éclats l’image de jeune femme en rupture avec son siècle, ainsi que celle d’interviewée taciturne, limite difficile, que lui a épinglée à la boutonnière la presse. Nous lui demandons si, comme le rapportait un certain magazine, Roy Orbison est réellement l’artiste le plus contemporain à squatter son iPod. «Non, voyons! J’écoute plein de musique actuelle, c’est très important. Je me souviens avoir parlé de Roy Orbison parce que j’aime la manière qu’il avait d’écrire des chansons d’amour très sucrées, mais en même temps gonflées de désir, presque surréalistes. J’aime ses chansons d’amour douces-amères. Je pense qu’il y a des journalistes qui aiment bien laisser entendre qu’une fille qui fait de la musique sombre est sombre. Il y en a qui aiment se raconter des histoires, je pense.»
Le 26 février à 20h au Palais Montcalm
Si Agnès Obel était un film, celui-ci serait un mélange entre Wong Kar Waï, David Lynch et bien sûr Bela Tarr… Agnès est un peu de tous ces univers… sensualitée a- temporelle en noir et blanc … comme un long et lent travelling de « Damnation »…
Merci Agnès
Christian Richard